De surprise en surprise
Je crois que ma jeunesse a vécu triste et grise,
pour me faire aimer mieux mon âge bientôt mûr,
et pour me conserver, de surprise en surprise,
l’étonnement naïf d’un coeur demeuré pur.
Si, longtemps, j’ai marché dans l’ombre, sous la pluie,
c’était pour goûter mieux l’aurore et le matin;
car l’attente me fait trouver plus infinies
les claires voluptés que je découvre enfin !
Tendre émerveillement, constante extase d’être,
puissiez-vous ne jamais décroître ni changer,
afin que mon ardeur, toujours prête à renaître,
me rende les jours brefs et le plaisir léger !
Et qu’à l’heure voilée où s’affligent les hommes,
quand s’entr’ouvre pour eux la porte du tombeau,
songeant à bien dormir durant mon dernier somme,
j’accueille un soir la mort comme un plaisir nouveau !
Le visage ambigu, Henry Spiess
[ p.13, à Lausanne chez C. Tarin, 1915 ]