J’ai vu, dans le monde, qu’on sacrifiait sans cesse l’estime des honnêtes gens à la considération, et le repos à la célébrité. Une forte preuve de l’existence de Dieu, selon Dorilas, c’est l’existence de l’homme, de l’homme par excellence, dans le sens le moins susceptible d’équivoque, dans le sens le plus exact, et, par conséquent, un peu circonscrit ; en un mot, de l’homme de qualité. C’est le chef-d’oeuvre de la providence, ou plutôt le seul ouvrage immédiat de ses mains. Mais on prétend, on assure qu’il existe des êtres d’une ressemblance parfaite avec cet être privilégié. Dorilas a dit : est-il vrai ? Quoi ! Même figure, même conformation extérieure ! eh bien, l’existence de ces individus, de ces hommes, puisqu’on les appelle ainsi, qu’il a niée autrefois, qu’il a vue, à sa grande surprise, reconnue par plusieurs égaux ; que par cette raison seule il ne nie plus formellement, sur laquelle il n’a plus que des nuages, des doutes bien pardonnables, tout à fait involontaires ; contre laquelle il se contente de protester simplement par des hauteurs, par l’oubli des bienséances, ou par des bontés dédaigneuses ; l’existence de tous ces êtres, sans doute mal définis, qu’en fera-t-il, comment l’expliquera-t-il ? Comment accorder ce phénomène avec sa théorie ? Dans quel système physique, métaphysique, ou, s’il le faut, mythologique, ira-t-il chercher la solution de ce problème ? Il réfléchit, il rêve, il est de bonne foi ; l’objection est spécieuse ; il en est ébranlé. Il a de l’esprit, des connaissances ; il va trouver le mot de l’énigme ; il l’a trouvé, il le tient ; la joie brille dans ses yeux. Silence. On connaît, dans la théologie persane, la doctrine des deux principes, celui du bien et celui du mal. Eh quoi ! Vous ne saisissez pas ? Rien de plus simple. Le génie, les talents, les vertus, sont des inventions du mauvais principe, d’orimane, du diable, pour mettre en évidence, pour produire au grand jour certains misérables, plébéiens reconnus, vrais roturiers, ou à peine gentilshommes.
J’ai vu, dans le monde, qu’on sacrifiait sans cesse l’estime des honnêtes gens à la considération, et le repos à la célébrité. Une forte preuve de l’existence de Dieu, selon Dorilas, c’est l’existence de l’homme, de l’homme par excellence, dans le sens le moins susceptible d’équivoque, dans le sens le plus exact, et, par conséquent, un peu circonscrit ; en un mot, de l’homme de qualité. C’est le chef-d’oeuvre de la providence, ou plutôt le seul ouvrage immédiat de ses mains. Mais on prétend, on assure qu’il existe des êtres d’une ressemblance parfaite avec cet être privilégié. Dorilas a dit : est-il vrai ? Quoi ! Même figure, même conformation extérieure ! eh bien, l’existence de ces individus, de ces hommes, puisqu’on les appelle ainsi, qu’il a niée autrefois, qu’il a vue, à sa grande surprise, reconnue par plusieurs égaux ; que par cette raison seule il ne nie plus formellement, sur laquelle il n’a plus que des nuages, des doutes bien pardonnables, tout à fait involontaires ; contre laquelle il se contente de protester simplement par des hauteurs, par l’oubli des bienséances, ou par des bontés dédaigneuses ; l’existence de tous ces êtres, sans doute mal définis, qu’en fera-t-il, comment l’expliquera-t-il ? Comment accorder ce phénomène avec sa théorie ? Dans quel système physique, métaphysique, ou, s’il le faut, mythologique, ira-t-il chercher la solution de ce problème ? Il réfléchit, il rêve, il est de bonne foi ; l’objection est spécieuse ; il en est ébranlé. Il a de l’esprit, des connaissances ; il va trouver le mot de l’énigme ; il l’a trouvé, il le tient ; la joie brille dans ses yeux. Silence. On connaît, dans la théologie persane, la doctrine des deux principes, celui du bien et celui du mal. Eh quoi ! Vous ne saisissez pas ? Rien de plus simple. Le génie, les talents, les vertus, sont des inventions du mauvais principe, d’orimane, du diable, pour mettre en évidence, pour produire au grand jour certains misérables, plébéiens reconnus, vrais roturiers, ou à peine gentilshommes. Sébastien Roch Nicolas de Chamfort