Ce n’est pas tout de mourir : il faut mourir à temps. Plus tard, je me fusse senti coupable ; un orphelin conscient se donne tort : offusqués par sa vue, ses parents se sont retirés dans leurs appartements du ciel. Moi, j’étais ravi. J’ai vendu (ses) livres : ce défunt me concernait si peu. S’il m’a aimé, s’il m’a pris dans ses bras, s’il a tourné vers son fils ses yeux clairs, aujourd’hui mangés, personne n’en a gardé mémoire : ce sont des peines d’amour perdues. Ce père n’est pas même une ombre, pas même un regard : nous avons pesé quelque temps, lui et moi, sur la même terre, voilà tout.
Ce n’est pas tout de mourir : il faut mourir à temps. Plus tard, je me fusse senti coupable ; un orphelin conscient se donne tort : offusqués par sa vue, ses parents se sont retirés dans leurs appartements du ciel. Moi, j’étais ravi. J’ai vendu (ses) livres : ce défunt me concernait si peu. S’il m’a aimé, s’il m’a pris dans ses bras, s’il a tourné vers son fils ses yeux clairs, aujourd’hui mangés, personne n’en a gardé mémoire : ce sont des peines d’amour perdues. Ce père n’est pas même une ombre, pas même un regard : nous avons pesé quelque temps, lui et moi, sur la même terre, voilà tout. Jean-Paul Sartre