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Voici les citations les plus partagées entre internautes !

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Parfois l'enfant ne sait pas dire son chagrin,
Mais il entend, le soir, les étranges présages
Qui annoncent aux pierres blessées, à même le sol,
Leur libération, où il apprend que les pierres
Cœurs brisés, ont parfois l'éclat dur d'un langage.
Le bruit de la mer rugit au vestiaire
- Et un reproche ; mais cela même est rassurant :
Un reproche de moins entre lui et la mort…
Et là, sur le tapis devant la cheminée,
Il regarde l'enfer et voit son avenir
- Qui sait, peut-être une chambre de chauffe ?-
Pourtant, l'enfant, je pense, a connu des fous-rires
(On dit que de la vie ce sont les seuls remèdes),
Et puis, n'eût-il pas survécu,
Saurait-il que Rimbaud a connu ces chagrins,
Rimbaud dont l'âge d'homme aussi, comme le sien,
Fut déserté d'amour et privé de langage ?



Pierres blessées
[ Malcolm Lowry ]

469 votes | 884 envois.



Le Parti finirait par annoncer que deux et deux font cinq et il faudrait le croire. Il était inéluctable que, tôt ou tard, il fasse cette déclaration. La logique de sa position l'exigeait. Ce n'était pas seulement la validité de l'expérience, mais l'existence d'une réalité extérieure qui était tacitement niée par sa philosophie. L'hérésie des hérésies était le sens commun. Et le terrible n'était pas que le Parti tuait ceux qui pensaient autrement, mais qu'il se pourrait qu'il eût raison. Après tout, comment pouvons-nous savoir que deux et deux font quatre ? Ou que la gravitation exerce une force ? Ou que le passé est immuable ? Si le passé et le monde extérieur n'existent que dans l'esprit et si l'esprit est susceptible de recevoir des directives. Alors quoi ? (…) La liberté, c'est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Lorsque cela est accordé, le reste suit.



1984 (1949)
[ George Orwell ]

468 votes | 884 envois.



Je n'ai pas dit : la populace, j'ai dit : les populaces. Dans ma pensée, ce pluriel est important. Il y a une populace dorée comme il y a une populace déguenillée ; il y a une populace dans les salons, comme il y a une populace dans les rues. À tous les étages de la société, tout ce qui travaille, tout ce qui pense, tout ce qui aide, tout ce qui tend vers le bien, le juste et le vrai, c'est le peuple ; à tous les étages de la société, tout ce qui croupit par stagnation volontaire, tout ce qui ignore par paresse, tout ce qui fait le mal sciemment, c'est la populace. En haut : égoïsme et oisiveté ; en bas : envie et fainéantise : voilà les vices de ce qui est populace. Et, je le répète, on est populace en haut aussi bien qu'en bas. J'ai donc dit qu'il fallait aimer le peuple ; un plus sévère eût ajouté peut-être : et haïr la populace. Je me suis contenté de la dédaigner.



Correspondance, lettre à M. Pierre Vinçard rédacteur en chef de la Ruche populaire, le 2 juillet 1841
[ Victor Hugo ]

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Nous avons toujours besoin d'un point extérieur sur lequel nous appuyer, afin d'appliquer le levier de la critique. C'est particulièrement vrai en psychologie, où, de par la nature de la matière, nous sommes beaucoup plus impliqués subjectivement que dans toute autre science. Comment, par exemple, pouvons-nous prendre conscience des particularités nationales si nous n'avons jamais eu l'occasion de considérer notre propre nation de l'extérieur ? La considérer de l'extérieur signifie la considérer du point de vue d'une autre nation. Pour ce faire, nous devons acquérir une connaissance suffisante de la psyché collective étrangère, et au cours de ce processus d'assimilation, nous rencontrons toutes ces compatibilités qui constituent le préjugé national et la particularité nationale. Tout ce qui nous irrite chez les autres peut nous conduire à la compréhension de nous-mêmes.



Ma vie, souvenirs, rêves et pensées (1961)
[ Carl Gustav Jung ]

472 votes | 882 envois.



Les rares nuits où l'Alarm n'avait pas sonné, la prévoyance du chef de camp remplaçait les alertes par des appels, parfaitement inutiles puisqu'ils doublaient ceux qui nous rassemblaient sur la place au retour du travail. Vers onze heures du soir, quand, rassurés par le silence et rompus de fatigue, nous étions enfin endormis, les cris des Stubendienste interrompaient notre repos. Il fallait s'habiller comme les autres nuits, gagner l'Appelplatz, s'aligner, immobiles, au garde-à-vous, attendre le signal de la dislocation. L'hiver, quand la neige tombait ou que soufflait le vent glacé du nord, l'appel se prolongeait deux ou trois, quelquefois cinq heures. Là, sous les faisceaux jaunes et glacés des projecteurs, douze mille hommes grelottants regardaient tomber les morts, sans qu'il leur fût permis de faire un geste, de se pencher sur eux, de leur dire un dernier adieu.



L'homme et la bête (1947)
[ Louis Martin-Chauffier ]

467 votes | 881 envois.



Le sens de l'histoire pour tous ces gens pétris de l'esprit des Lumières et du progrès scientifique, était ascendant, l'humanité s'extrayait du singe pour s'élever par petits bonds vers un avenir radieux. On partait d'un gribouillis et on arrivait à Michel-Ange, sans prendre le risque d'aller plus loin pour ne pas faire de peine, de même qu'on partait de la plus grande sauvagerie des hommes-bêtes, se coiffant avec un clou [...], pour atteindre le plus haut degré de civilisation, par exemple le beau Brummell prenant une matinée pour assortir ses gants à sa cravate, et puis comment on place un archevêque à table, et comment écrire à la veuve d'un général. Sauf qu'on peut aussi inverser le schéma : on part du plus haut, des splendeurs de Lascaux et on arrive à Auschwitz, et ce n'est plus du tout la même conception de l'histoire du monde. C'est une inexorable dégringolade.



La Femme promise (2009)
[ Jean Rouaud ]

469 votes | 881 envois.



Nul ne sait nager avant d'avoir traversé, seul, un fleuve large et impétueux ou un détroit, un bras de mer agités. Il n'y a que du sol dans une piscine, territoire pour piétons en foule. Partez, plongez. Après avoir laissé le rivage, vous demeurez quelque temps beaucoup plus près de lui que de l'autre, en face, au moins assez pour que le corps s'adonne au calcul et se dise silencieusement qu'il peut toujours revenir. Jusqu'à un certain seuil, vous gardez cette sécurité : autant dire que vous n'avez rien quitté. De l'autre côté de l'aventure, le pied espère en l'approche, dès qu'il a franchi un second seuil : vous vous trouvez assez voisin de la berge pour vous dire arrivé. Rive droite ou côté gauche, qu'importe dans les deux cas : terre ou sol. Vous ne nagez pas, vous attendez de marcher, comme quelqu'un qui saute décolle et se reçoit, mais ne demeure pas dans le vol.



Le Tiers-instruit (1991)
[ Michel Serres ]

470 votes | 881 envois.



C’est une chose d’une grande conséquence que d’habiller les pingouins. À présent, quand un pingouin désire une pingouine, il sait précisément ce qu’il désire, et ses convoitises sont bornées par une connaissance exacte de l’objet convoité. En ce moment, sur la plage, deux ou trois couples de pingouins font l’amour au soleil. Voyez avec quelle simplicité ! Personne n’y prend garde et ceux qui le font n’en semblent pas eux-mêmes excessivement occupés. Mais quand les pingouines seront voilées, le pingouin ne se rendra pas un compte aussi juste de ce qui l’attire vers elles. Ses désirs indéterminés se répandront en toutes sortes de rêves et d’illusions ; enfin, mon père, il connaîtra l’amour et ses folles douleurs. Et, pendant ce temps, les pingouines, baissant les yeux et pinçant les lèvres, vous prendront des airs de garder sous leurs voiles un trésor !… Quelle pitié !



L'Ile des Pingouins (1908)
[ Anatole France ]

469 votes | 880 envois.



L'intelligence, dans la nature, ce n'était qu'une pauvre petite lueur qui devait nous guider dans l'accomplissement des actes quotidiens. Et nous sommes comme serait un homme qui porte une lampe dans un souterrain à la recherche d'un trésor. Soudain, la lampe fume, ou flamboie, ou ronfle, ou crépite. Alors, il s'arrête, il s'assied par terre, il fait monter ou descendre la mèche, il règle des éclairages. Et ce travail l'intéresse tant qu'il a oublié le trésor, qu'il finit par croire que le bonheur c'est de perfectionner une lampe et de faire danser des ombres sur le mur. Et il se contente de ces pauvres joies de lampiste, jusqu'au jour où il voit soudain que sa vie s'est passée à ce jeu puéril… Alors, il veut se lever, il tend les mains vers le trésor… Trop tard ! La mort déjà le tient à la gorge. L'intelligence, c'est la lampe. Le trésor, ce sont les joies de la vie.



Jazz (1954)
[ Marcel Pagnol ]

475 votes | 880 envois.



Le visage de l'antisémitisme est aujourd'hui celui de l'islamophobie, la propagande utilise les mêmes termes, les mêmes slogans, les mêmes obsessions: l'invasion des étrangers, la perte des repères chrétiens, la pureté de la race. Ces thèmes, ces obsessions sont exploités par une partie de la classe politique, et par un nombre grandissant d'intellectuels et d'artistes. Leurs arguments sont sans valeur. Ils se nourrissent de mensonges et de peurs, ils élaborent des théories fumeuses dont l'auteur le plus connu est Samuel Huntington. Tout cela est marqué par une considérable quantité d'insignifiance. Insignifiance parce que cette idéologie est vide de sens, qu'elle ne véhicule que la pensée la plus banale, et ne s'alimente que des instincts les plus vides. Mais cette insignifiance est dangereuse. Elle peut parfois, comme dans le cas de Breivik, devenir une pathologie.



J. M. G. Le Clézio, 6 septembre 2012, dans La lugubre élucubration de Richard Millet site du Nouvel Observateur, paru le 6 septembre 2012
[ J. M. G. Le Clézio ]

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Pour des personnes comme toi et moi, le plus important, c’est la rage. Sans rage, nous serions incapables de trouver la force pour ôter la vie. Certains sont différents : ils obéissent à d’autres instincts ou ont grandi dans une violence inouïe ; ces gens-là te regardent depuis des cavernes inconnues. Pour eux, la vie c’est le puits. Tu ne peux pas les tuer et ils t’achèveraient si tu t’élevais contre eux. Nous, nous ne sommes pas comme ça, nous avons besoin d’elle, de cette rage effrénée qui ne laisse aucun répit. Tes muscles s’agitent, toute ta peau papillonne, tu noircis de l’intérieur tandis qu’à l’extérieur ton corps rougeoie : elle fera de toi un homme meurtri à la quête désespérée de sa place dans le monde. Tu devras alors te chercher tous les motifs de haine, mépriser ce qui t’entoure et, plus important encore, te convaincre que cette rage est nécessaire .



Le Puits (2013)
[ Ivan Repila ]

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Parmi les libres monts trois ans elle grandit
À la pluie, au soleil. La Nature alors dit :
Ô belle fleur à peine éclose !
Cette enfant sera mienne et je l'adopterai,
Et je veux lui donner, modelée à son gré,
La noblesse dont je dispose.

Je veux être pour elle impulsion et loi,
Oui, je veux que vivant à toute heure avec moi,
Et vivant aux lieux où je règne,
Dans les cieux ou les monts, les champs ou les forêts,
Elle sente un Pouvoir au regard toujours près
Qui enflamme ou qui la contraigne.

Elle sera pareille au faon grisé d'air pur
Qui bondit dans les prés, ou pour boire l'azur
Vers le sommet des monts s'élance ;
Elle aura le parfum des fleurs qui s'exhale des bois,
Le doux parfum des fleurs sans pensée et sans voix,
Elle aura leur joyeux silence.



Les Ballades lyriques (1798)
[ William Wordsworth ]

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La vie humaine est un songe : d'autres l'ont dit avant moi, mais cette idée me suit partout. Quand je considère les bornes étroites dans lesquelles sont circonscrites les facultés de l'homme, son activité et son intelligence ; quand je vois que nous épuisons toutes nos forces à satisfaire des besoins, et que ces besoins ne tendent qu'à prolonger notre misérable existence ; que notre tranquillité sur bien des questions n'est qu'une résignation fondée sur des chimères, semblables à celles des prisonniers qui auraient couvert de peintures variées et de riantes perspectives les murs de leur cachot ; tout cela mon ami, me rend muet. Je rentre en moi-même, et j'y trouve un monde, mais plutôt en pressentiments et en sombres désirs qu'en réalité et en action ; et alors tout s'embrouille en moi, et, perdu dans mes rêves, je poursuis en souriant ma route dans le monde.



Les Souffrances du jeune Werther (1774)
[ Johann Wolfgang Goethe ]

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Ce « résistant à l'absurde » est le personnage clef de la modernité : à la mi-hauteur de l'échelle sociale, entre les éboueurs agrippés à leur benne et l'élite planant sur ses strato-cumulus. Sans son endurance stoïque, le monde s'écroulerait — les maris quitteraient leurs épouses-ados et partiraient vers les pays du Sud, vers des corps généreux et halés, loin de ce quatre-quatre rempli d'instruments de torture pour « le royaume de la glisse ». Or, ils assument, sourient, vieillissent. La fréquence des suicides, dans la classe moyenne, relativement nantie, est assez logique : des années passées à obtenir des tonnes de diplômes, une tension inhumaine au travail, la peur d'une obsolescence professionnelle programmée et, en compensation — cette voiture, pareille à un corbillard, et cette femme-ado à la voix glaçante : « Tu as encore oublié la doudoune de Léo… »



Au-delà des frontières (2019)
[ Andreï Makine ]

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Le cinéma occupe une place singulière dans l'industrie, celle d'une économie de prototypes. Autrefois un solide pifomètre, une bonne dose d'expérience et la place privilégiée du cinéma comme divertissement familial laissaient une certaine marge d'erreur et de folie aux créateurs et aux producteurs. Depuis l'arrivée de la télévision, l'éclosion des technologies nouvelles et des groupes intégrés, le modèle industriel prévaut de plus en plus. On assiste à une rationalisation des modes de fabrication du domaine audiovisuel, le cinéma n'en étant plus qu'une branche. Ainsi, on a assisté à l'apparition d'une tendance lourde au management. On a vu débarquer des contrôleurs de gestion, des comptabilités analytiques, et toute une batterie d'économies d'échelle et de standards de financement : bref, l'industrie a soufflé dans les bronches du petit peuple des artistes.



Les Chantiers de la gloire (2006)
[ Jean-Jacques Beineix ]

469 votes | 870 envois.



Le vendredi 12 décembre 1941, par une paisible matinée caraïbe où le soleil, à cette époque de l'année, caresse la peau plutôt que de la mordre, la république indépendante, libre et démocratique d'Haïti déclara les hostilités au IIIe Reich et au Royaume d'Italie. L'annonce prit de court les citoyens, qui, tournés vers les festivités de Noël, avaient déjà oublié que, quatre jours plus tôt, incapable d'avaler l'anaconda de Pearl Harbor, leur bout d'île avait fait une virile entrée en guerre contre l'Empire nippon. L'information avait déboulé à la vitesse d'un cyclone force 5 sur la planète ; des centaines de millions de sceptiques avaient eu du mal à en croire, qui leurs yeux, qui leurs oreilles, selon qu'ils l'avaient lue dans les gazettes ou captée sur leur poste tsf. Les têtes couronnées du Japon et leurs fidèles sujets n'en étaient toujours pas revenus.



Avant que les ombres s'effacent (2017)
[ Louis-Philippe Dalembert ]

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L'enfant, de jour en jour, avance dans la vie :
Et, comme les aiglons qui, cédant à l'envie
De mesurer les cieux dans leur premier essor,
Exercent près du nid leur aile faible encor,
Doucement soutenu sur ses mains chancelantes,
Il commence l'essai de ses forces naissantes.
Sa mère est près de lui : c'est elle dont le bras
Dans leur débile effort aide ses premiers pas ;
Elle suit la lenteur de sa marche timide ;
Elle fut sa nourrice, elle devient son guide.
Elle devient son maître, au moment où sa voix
Bégaie à peine un nom qu'il entendit cent fois :
MA MÈRE est le premier qu'elle l'enseigne à dire.
Elle est son maître encor dès qu'il s'essaie à lire ;
Elle épelle avec lui dans un court entretien,
Et redevient enfant pour instruire le sien.



Le Mérite des femmes (1801)
[ Gabriel Marie Legouvé ]

470 votes | 870 envois.



Les lieux de mémoire me paraissaient trancher par leur existence même et leur poids d'évidence, les ambiguïtés que comportent à la fois la mémoire, la nation, et les rapports complexes qu'elles entretiennent. Objets, instruments ou institutions de la mémoire, c'étaient des précipités chimiques purs. Ces lieux, il fallait les entendre à tous les sens du mot, du plus matériel et concret, comme les monuments aux morts et les Archives nationales, au plus abstrait et intellectuellement construit, comme la notion de lignage, de génération ou même de région et d'« homme-mémoire ». Du haut lieu à sacralité institutionnelle, Reims ou le Panthéon, à l'humble manuel de nos enfances républicaines. Depuis les chroniques de Saint-Denis au XIIIe siècle, jusqu'au « Trésor de la langue française » ; en passant par le Louvre, « La Marseillaise » et l'encyclopédie Larousse.



Les Lieux de mémoire (1997)
[ Pierre Nora ]

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Je savais qu'il ne pleuvrait pas sur mes noces pour une simple raison : quand on a souffert aussi longtemps que moi, on mérite une sorte de récompense. Ce jour-là, encore une fois, je m'étais fiée à mon instinct. Et j'avais eu raison de le faire. La vie ne m'a pas toujours fait de cadeaux. Après tant d'années de travail acharné et d'épreuves, je me réjouissais de profiter de l'instant présent avec Erwin, de me lever en paix chaque matin, sans un souci, ni un besoin, ni un projet. J'ai atteint le nirvana... cet état de félicité suprême où on ne désire plus rien. Trois mois plus tard, je me suis réveillée en proie à la panique. J'avais l'impression d'avoir reçu un coup à la tête et sur ma jambe droite, et une drôle de sensation au niveau de la bouche me gênait pour appeler Erwin à mon aide. Ce qui m'arrivait dépassait mes pires craintes. Je faisais un AVC.



Tina Turner, autobiographie (2019)
[ Tina Turner ]

466 votes | 869 envois.



J'ai parlé d'un peu de compassion et de générosité, mais je n'ai pas mentionné l'amour : je ne crois pas en l'amour universel. L'amour de tous pour tous, il faut laisser ça à Jésus : l'amour, c'est autre chose ; il n'a rien à voir avec la générosité et la compassion. Loin de là. L'amour, c'est la curieuse combinaison d'une chose et de son contraire, un mélange d'extrême égoïsme et d'abnégation totale. Un paradoxe ! Tour le monde n'a que ce mot à la bouche, l'amour, mais on ne le choisit pas, il nous attrape, ile nous tient comme une maladie, une tragédie. On choisit quoi, alors ? Entre quoi et quoi les hommes doivent-ils opter à chaque instant ? Entre la générosité et la méchanceté. Un enfant de trois ans le sait, et pourtant la méchanceté ne désarme pas. Pour quelle raison ? A cause de la fameuse pomme que nous avons mangée là-bas : elle était empoisonnée



Une histoire d'amour et de ténèbres , 2002
[ Amos Oz ]

467 votes | 868 envois.



Aujourd'hui il me semble que nous aurions persisté moins longtemps dans cette exaltation, si une partie au moins de la police, à commencer sans doute par son ministre, n'avait partagé notre rêve, même si elle devait l'envisager de son côté comme un cauchemar. Je n'en veux pour preuve que l'insistance avec laquelle certains inspecteurs, lors des interrogatoires qu'il nous arrivait de subir, nous demandaient, et pas sur le ton de la plaisanterie, ce que nous ferions d'eux après la révolution, ajoutant parfois que nous aurions besoin d'une police forte, expérimentée, et que le mieux serait de nous appuyer sur celle qui existait auparavant. Aussi aveugles que nous quant aux chances de succès de nos entreprises, les policiers qui nous tenaient ce langage manifestaient du moins, quant à l'essence même de la révolution, une lucidité dont nous étions incapables.



L'Organisation (2000)
[ Jean Rolin ]

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Je ne fais pas de plans, je n'en ai jamais fait. Les quelques fois où j'essayai, ils tombèrent très vite à l'eau, ce qui est normal. J'embarque mes héros au début de mes livres, je les mets en rapport et les laisse un long moment se débrouiller sans moi. Je veux dire que les propos ou les gestes qu'ils s'inspirent les uns les autres précisent leur personnalité, au départ confuse, et qu'il suffit d'attendre pour que leurs caractères s'imposent. Même si au départ ils sont pratiquement libres, j'en aurais vu beaucoup s'écarter radicalement de leur rôle original. [...] Ils ne tournèrent casaque qu'une fois le bateau parti, et pour mon plus grand plaisir : je n'ai jamais été autoritaire d'abord, et ensuite, tous ces renversements me plaisaient. C'est très agréable d'écrire un livre dans ces conditions, avec autant de curiosité, peut-être plus que le lecteur.



Derrière l'épaule (1998)
[ Françoise Sagan ]

468 votes | 866 envois.



Et ce qui me fait souffrir, ce n'est pas tant la mort d'un amour que celle d'un être vraiment vivant que nous avions créé l'un et l'autre, que peut-être moi j'avais créé seule… Cet être était une union de vous et de moi, tels que nous nous voulions l'un et l'autre. C'était vous comme j'avais besoin que vous fussiez ; non pas un admirateur de ma personne comme vous avez prétendu, mais un homme qui m'aimait ; qui, à cause de cet amour, trouvait de l'intérêt à tout ce qui venait de moi ; devant lui, je pouvais avoir tous mes défauts et toutes mes qualités ; je pouvais me laisser aller au désordre… ce désordre lyrique et inattendu où tous les instincts se livrent en paroles et en cris pour ensuite permettre aux sûres directions de l'âme de retrouver la route et de continuer. Et j'imaginais qu'aucun de ces abandons ne troublait votre amour et votre confiance.



Laissez-moi
[ Marcelle Sauvageot ]

468 votes | 866 envois.



A la première occasion, je me renseignerai sur les principes de classification de Citroën. Quelques jours plus tard, un autre ouvrier me les donnera. Il y a six catégories d'ouvriers non qualifiés. De bas en haut: trois catégories de manoeuvre (M. 1., M. 2, M.3); trois catégories d'ouvriers spécialisés (O.S. 1, O.S. 2, O.S. 3). Quand à la répartition, elle se fait d'une façon tout à fait simple: elle est raciste. Les Noirs sont M. 1, tout en bas de l'échelle. Les Arabes sont M. 2 ou M. 3. Les Espagnols, les Portugais et les autres immigrés européens sont en général O.S. 2. Les Français sont, d'office, O.S. 2. Et on devient O.S. 3 à la tête du client, selon le bon vouloir des chefs. Voilà pourquoi je suis ouvrier spécialisé et Mouloud manoeuvre, voilà pourquoi je gagne quelques centimes de plus par heure, quoique je sois incapable de faire son travail.



L'Etabli (1978)
[ Robert Linhart ]

466 votes | 864 envois.



Le milieu scolaire demeure l'endroit privilégié où l'enfant construit sa personnalité propre et son identité sociale. C'est le plus souvent à l'école que l'enfant se cherche en faisant l'expérience de ses relations avec les autres : est-il le dernier à être choisi au sein de l'équipe de ballon-chasseur ? a-t-il du succès lors de l'élection du représentant de classe ? est-ce que les autres rient quand il leur fait une grimace ? se moque-t-on de lui à la récréation ? Voilà autant de questions essentielles dont les réponses enseigneront peu à peu à l'enfant qui il est. Est-il populaire, aimable, admiré ? Modérément marginal, différent ou handicapé ? Un peu trop gros, un peu trop laid, boutonneux ou niaiseux ? Rien de tout cela n'est simple ni facile pour personne. L'écolier affronte l'apprentissage de la vie en société. Cela aussi, on le sait très bien.



Du pipi, du gaspillage et sept autres lieux communs (2001)
[ Bernard Arcand ]

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« Certains parlent d'un « bidonville », d'autres d'un « camp », d'autres encore de « la lande », mais c'est bien d'une jungle qu'il s'agit. Un lieu de misère, de danger, d'abandon et de drames où survivent et s'entassent dans la promiscuité la plus totale plusieurs milliers d'hommes, de femmes et d'enfants. Un lieu de colère aussi. Celle d'un mouvement raciste local de plus en plus activiste. Celle des commerçants et des entreprises qui attribuent à la présence étrangère une baisse de leur chiffre d'affaires. Celle des bénévoles de la ville et des associations qui ne supportent plus de voir au milieu des ordures et des rats ceux auprès desquels ils s'engagent quotidiennement. Et enfin, la colère des migrants eux-mêmes qui, se retrouvent par une force armée à 30 km de l'Angleterre, cet eldorado fantasmé qui leur a donné le courage de tout endurer.



Bienvenue à Calais : Les raisons de la colère (2016)
[ Marie-Françoise Colombani ]

468 votes | 858 envois.



La vie est une succession d'ambiguïtés et de bravades. On y apprend tous les jours, et tous les jours on efface son ardoise pour un nouvel exercice. En réalité, il n'y a pas de vérité irréfutable, il n'y a que des certitudes. Lorsque l'une s'avère être infondée, on s'en forge une autre et on s'y verrouille contre vents et marées. La survivance est un naufrage dont le salut repose sur l'entêtement et non sur la providence. Il y a ceux qui abandonnent, et ceux-là sont morts, et d'autres qui revoient leur copie... Me vient à l'esprit l'image du marabout-guerrier agonisant sur son lit de camp, le faciès taillé dans un parchemin. Sa voix chevrotante m'atteint dans un soupir d'outre-tombe. Que me disait-il ? Ça me revient ; il disait : « Pour qu'un coeur continue de battre la mesure des défis, il lui faut pomper dans l'échec la sève de sa survivance ».



L'Equation africaine (2011)
[ Mohammed Moulessehoul, dit Yasmina Khadra ]

469 votes | 858 envois.



Sept ans plus tôt, elle m’avait expliqué qu’elle n’avait jamais ressenti un tel sentiment avec personne, une telle émotion, une telle vague de douce et chaude mélancolie qui l’avait envahie en me voyant faire ce geste si simple, si apparemment anodin, de rapprocher très lentement mon verre à pied du sien pendant le repas, très prudemment, et de façon tout à fait incongrue en même temps pour deux personnes qui ne se connaissaient pas encore très bien, qui ne s’étaient rencontrées qu’une seule fois auparavant, de rapprocher mon verre à pied du sien pour aller caresser le galbe de son verre, l’incliner pour le heurter délicatement dans un simulacre de trinquer sitôt entamé qu’interrompu, il était impossible d’être à la fois plus entreprenant, plus délicat et plus explicite, m’avait-elle expliqué, un concentré d’intelligence, de douceur et de style.



Faire l'amour (2002)
[ Jean-Philippe Toussaint ]

467 votes | 857 envois.



Quand l'esprit galope, les mots restent à l'écurie. Sa devise. Un vieux truc qui lui avait évité plus d'une gaffe. Son esprit ruminait sans arrêt, une panse fébrile qui mâchouillait la vie, trois fois plutôt qu'une. Ses sens toujours à l'affût taraudaient les gens, épinglaient des mimiques, déchiquetaient des regards, sondaient des intonations, s'acharnaient sur des petits riens anodins, décelaient de fausses notes, flairaient la moindre variation de température, sans qu'elle s'en rende compte, ses sens éventraient les gens, perçaient leur devanture et embrochaient une flopée de détails incongrus. Très tôt, elle avait appris à endiguer ce radar fiévreux qui posait trop de questions, devinait trop de secrets, disait trop de bêtises, importunait les grands. Valait mieux se taire. Et tant pis pour la spontanéité qui l'émerveillait chez les autres.



Ev Anckert, une passion parisienne
[ Louise Auger ]

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J'ai voulu tout à la fois écrire, diriger et jouer mon trentième film afin d'extraire cette fois non pas une, mais quatre frustrations qui, accumulées, ont failli me conduire au suicide : celle de l'acteur rentré que je suis, celle d'avoir vu me filer entre les doigts, pour les succès faciles de la télé cairote, le jeune Mohsen Mohieddine que j'avais patiemment formé pour être mon acteur-fétiche et qui, comme Omar Charif jadis, m'a finalement échappé ; celle de tout créateur égyptien contemporain dont le travail est en butte à une administration qui trompe et dépouille ceux-là mêmes qu'elle devrait défendre... La frustration enfin du Festival de Cannes 1985 où tout indiquait que mon film Adieu Bonaparte ou, en tout cas, Mohsen Mohieddine remporterait un prix et où nous nous sommes finalement retrouvés assommés, abandonnés sans même une fleur.



Film Alexandrie encore et toujours (1990)
[ Youssef Chahine ]

472 votes | 855 envois.



Quand on a vu un noyé, une fois, à peine retiré de l'eau, encore couché sur la route, on n'a pas grand-chose à ajouter. Surtout quand on a compris pourquoi il y a des gens qui se noient, certains jours. Le reste ne compte pas. Qu'il pleuve ou qu'il fasse beau temps, que ce soit un enfant ou un homme, ou une femme nue avec un collier de diamants, etc., cela indiffère. C'est l'espèce de décor d'un drame permanent. Mais quand on n'a pas compris, par exemple. Quand on se laisse distraire par les détails qui semblent justifier l'événement, lui donner une réalité, mais qui n'en sont que la mise en scène ; alors, il y a beaucoup à dire. Ils s'arrêtent, descendent de leurs automobiles, et les voilà qui entrent en jeu. Au lieu de voir, ils composent. Ils se lamentent. Ils prennent parti pour l'un, ou pour l'autre. Ils élucubrent et écrivent des poèmes.



Le procès-verbal (1963)
[ J. M. G. Le Clézio ]

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Aux branches claires des tilleuls Meurt un maladif hallali. Mais des chansons spirituelles Voltigent parmi les groseilles. Que notre sang rie en nos veines, Voici s’enchevêtrer les vignes. Le ciel est joli comme un ange. L’azur et l’onde communient. Je sors. Si un rayon me blesse Je succomberai sur la mousse. Qu’on patiente et qu’on s’ennuie C’est trop simple. Fi de mes peines. je veux que l’été dramatique Me lie à son char de fortunes Que par toi beaucoup, ô Nature, – Ah moins seul et moins nul ! – je meure. Au lieu que les Bergers, c’est drôle, Meurent à peu près par le monde. Je veux bien que les saisons m’usent. A toi, Nature, je me rends ; Et ma faim et toute ma soif. Et, s’il te plaît, nourris, abreuve. Rien de rien ne m’illusionne ; C’est rire aux parents, qu’au soleil, Mais moi je ne veux rire à rien ; Et libre soit cette infortune.



Derniers Vers (1872), Bannières de mai
[ Arthur Rimbaud ]

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Bien entendu. C'est foutu depuis longtemps, depuis l'origine. Tu ne représenteras jamais, Raphaël, un rêve érotique de jeune fille. Il faut en prendre ton parti ; de telles choses ne sont pas pour toi. De toute façon, il est déjà trop tard. L'insuccès sexuel, Raphaël, que tu as connu depuis ton adolescence, la frustration qui te poursuit depuis l'âge de treize ans laisseront en toi une trace ineffaçable. À supposer même que tu puisses dorénavant avoir des femmes – ce que, très franchement, je ne crois pas – cela ne suffira pas ; plus rien ne suffira jamais. Tu resteras toujours orphelin de ces amours adolescentes que tu n'as pas connues. En toi, la blessure est déjà douloureuse ; elle le deviendra de plus en plus. Une amertume atroce, sans rémission, finira par emplir ton cœur. Il n'y aura pour toi ni rédemption, ni délivrance. C'est ainsi.



Extension du domaine de la lutte (1994)
[ Michel Houellebecq ]

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On peut tout se permettre avec les gros. Leur faire la morale à la cantine, les insulter s'ils grignotent dans la rue, leur donner des surnoms atroces, se foutre d'eux s'ils font du vélo, les tenir à l'écart, leur donner des conseils de régime, leur dire de se taire s'ils prennent la parole, éclater de rire s'ils avouent qu'ils aimeraient plaire à quelqu'un, les regarder en faisant la grimace quand ils arrivent quelque part. On peut les bousculer, leur pincer le bide ou leur mettre des coups de pied : personne n'interviendra. C'est peut-être à cette époque qu'elle a appris à renoncer à son genre : mâles ou femelles, les gros sont soumis à une exclusion similaire. On a le droit de les mépriser. Et s'ils se plaignent des traitements qu'on leur inflige, au fond tout le monde pense la même chose : mange moins, gros sac, tu pourras t'intégrer.



Vernon Subutex (2015)
[ Virginie Despentes ]

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Dans l'espace immatériel de l'analyse logique abstraite, on peut prouver avec la même rigueur aussi bien l'impossibilité absolue, la défaite certaine de la grève de masse, que sa possibilité absolue et sa victoire assurée. Aussi la valeur de la démonstration est-elle dans les deux cas la même, je veux dire nulle. C'est pourquoi craindre la propagande pour la grève de masse, prétendre excommunier formellement les coupables de ce crime, c'est être victime d'un malentendu absurde. Il est tout aussi impossible de "propager" la grève de masse comme moyen abstrait de lutte qu'il est impossible de "propager" la révolution. La "révolution" et la "grève de masse" sont des concepts qui ne sont eux-mêmes que la forme extérieure de la lutte des classes et ils n'ont de sens et de contenu que par rapport à des situations politiques bien déterminées.



Œuvres I (1906), Rosa Luxemburg (trad. Irène Petit), éd. Maspero, coll. « petite collection Maspero », 1969 (ISBN 2-7071-0264-4), partie Grève de masse, parti et syndicats, chap. 2., p. 100
[ Rosa Luxemburg ]

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Il reste à parler d'un état de l'âme qui, ce nous semble, n'a pas encore été bien observé : c'est celui qui précède le développement des passions, lorsque nos facultés, jeunes, actives, entières, mais renfermées, ne se sont exercées que sur elles-mêmes, sans but et sans objet. Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état du vague des passions augmente ; car il arrive alors une chose fort triste : le grand nombre d'exemples qu'on a sous les yeux, la multitude de livres qui traitent de l'homme et de ses sentiments rendent habile sans expérience. On est détrompé sans avoir joui ; il reste encore des désirs, et l'on n'a plus d'illusions. L'imagination est riche, abondante et merveilleuse ; l'existence pauvre, sèche et désenchantée. On habite avec un coeur plein un monde vide, et sans avoir usé de rien on est désabusé de tout.



Atala, ou Les Amours de deux sauvages dans le désert (1801)
[ François-René de Chateaubriand ]

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mais un jour le vrai soleil viendra
un vrai soleil dur qui réveillera le paysage trop mou
et les travailleurs sortiront
ils verront alors le soleil
le vrai le dur le rouge soleil de la révolution
et ils se compteront
et ils se comprendront
et ils verront leur nombre
et ils regarderont l'ombre et ils riront
et ils s'avanceront
une dernière fois le capital voudra les empêcher de rire
ils le tueront
et ils l'enterreront dans la terre sous le paysage de misère et le paysage de misère de profits de poussières et de charbon ils le brûleront ils le raseront et ils en fabriqueront un autre en chantant
un paysage tout nouveau tout beau
un vrai paysage tout vivant
ils feront beaucoup de choses avec le soleil
et même ils changeront l'hiver en printemps.



Le paysage changeur
[ Jacques Prévert ]

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Tout là-bas, au fin fond des tréfonds inexplorés et mal famés du bout du bras occidental de la Galaxie, traîne un petit soleil jaunâtre et minable. En orbite autour de celui-ci, à la distance approximative de cent cinquante millions de kilomètres, se trouve une petite planète bleu-vert dont les habitants — descendus du singe — sont primitifs au point de croire encore que les montres à quartz numériques sont une vache de chouette idée. Cette planète a — ou plutôt, elle avait — un problème, à savoir celui-ci : la plupart de ses habitants étaient malheureux la plupart du temps. Bien des solutions avaient été suggérées mais la plupart d'entre elles faisaient largement intervenir la mise en circulation de petits bouts de papier vert, chose curieuse puisque en définitive ce n'étaient pas les bouts de papier vert qui étaient malheureux.



Le Guide du voyageur galactique
[ Douglas Adams ]

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Et c'est ainsi que j'en suis venue à penser que je n'étais plus obligée de conserver mon matricule (...). Je l'ai porté un demi-siècle sur la peau de mon bras gauche et puis j'ai perdu patience. Dans une clinique de Californie où des spécialistes gagnent des fortunes à effacer les rides de femmes vieillissantes et les tatouages de jeunes regrettant d'avoir dégradé leur apparence soignée juste pour s'amuser un soir de beuverie, une jeune dermatologue a mis plusieurs mois à faire disparaître au laser ce morceau de "monument". J'ai alors enfin su ce numéro par cœur; auparavant j'avais toujours eu du mal à m'en souvenir : A-3537. Cette suite de chiffres ne signifiait rien de plus qu'un tatouage de chien, elle n'avait jamais représenté pour moi une unité, comme une adresse ou un numéro de téléphone, alors pourquoi essayer de le retenir?



Perdu en chemin (2010)
[ Ruth Klüger ]

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Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,
Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez, sublimes animaux !
A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
- Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au coeur !
Il disait : " Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler.



Poèmes philosophiques (1843), La mort du loup
[ Alfred de Vigny ]

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Je suis de tradition grecque, comme tous les philosophes ; mais on oublie trop souvent qu'il y a au moins deux traditions, celle de Platon et celle d'Aristote. J'ai longtemps été, en raison de mon intérêt pour les mathématiques, pleinement platonicien. Il m'a fallu un certain âge pour « découvrir » la pensée d'Aristote. Je suis maintenant devenu plutôt aristotélicien… Il suffit de lire les Allemands pour se rendre compte qu'ils sont eux-mêmes aristotéliciens, pour la bonne et simple raison qu'ils n'ont pas eu nos Lumières ni la Révolution française, qui a supprimé chez nous la tradition aristotélicienne pour ne garder que la tradition platonicienne. La tradition aristotélicienne étant associée au Moyen Âge, à la scolastique, au christianisme… D'une certaine manière, Heidegger, c'est du Aristote… Du Aristote traduit en Allemand.



Une intensité de lumière, entretien avec Michel Serres , Cahier Simone Weil, Cahier dirigé par Emmanuel Gabellieri et François l'Yvonnet, éd. Éditions de l'Herne, 2014
[ Michel Serres ]

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Un grand oiseau brun se tenait sur le rebord [de la fenêtre], nous observant à travers la vitre d'un oeil vigilant et sans effroi, si semblable à la corneille que j'avais remarquée le matin même qu'un petit frisson d'inquiétude me parcourut.
— Un corbeau! s'écria ma mère.
— Alors je ne pus m'empêcher de chuchoter en direction de l'oiseau : Isabelle?
— Mais ma mère ouvrait la fenêtre avec fracas et, soudain furieuse, elle que je ne connaissais que d'humeur égale, conciliante, agita les mains en clamant : Veux-tu te sauver, sale bête! Ouh, ouh, déguerpis! […]
Elle referma prudemment la fenêtre. Lorsqu'elle revint vers nous, elle était rouge, en colère, déconfite. Jamais je ne l'avais vue ainsi hors d'elle et toute violence à grand-peine contenue. Je lui pris la main, déconcertée de si peu la reconnaître.



La Sorcière (1996)
[ Marie NDiaye ]

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Avoir l'heure m'a toujours paru quelque chose de ridicule, de fondamentalement mensonger, peut-être parce qu'une nécessité interne que je n'ai moi même jamais réussi à comprendre m'a toujours fait regimbe contre le pouvoir du temps et me tenir à l'écart de ce que l'on a coutume d'appeler l'actualité, dans l'espoir que le temps ne passe pas, ne soit point révolu, que je puisse revenir en arrière et lui courir après, que là-bas tout soit alors comme avant ou plus précisément, que tous les moments existent simultanément, auquel cas rien de ce que raconte l'histoire ne serait vrai, rien de ce qui s'est produit ne s'est encore produit mais au contraire se produit juste à l'instant où nous le pensons, ce qui d'un autre côté œuvre naturellement sur la perspective désespérante d'une détresse perpétuelle et d'un tourment sans fin.



Austerlitz (2001)
[ W. G. Sebald ]

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Attraper le bonheur, c'est vouloir retenir un papillon dans sa main ou le prendre avec un filet. Tu précipites le filet sur lui et il s'abîme, c'est un bonheur gâché. Si c'est un bonheur agile, on ne ne peut le faire prisonnier et l'on court sans fin, c'est une agitation inutile, le bonheur est parti. Parfois il se laisse prendre sans dommage, il ne s'est pas débattu et il reste bien sage, un peu frileux sous le filet. C'est un bonheur fragile, fatigué, malade peut-être. Si tu attrapes un beau bonheur, un papillon rare, sans l'abîmer, si tu le prends dans ta paume et que tu la refermes pour l'emprisonner, il ne reste que de la poussière de bonheur sur les doigts, si tu le piques sur un bois il meurt. Il faut être comme l'arbre à papillons, prêt à accueillir le bonheur, et tu verras, il viendra sur ton épaule.



Les Dames de nage (2009)
[ Bernard Giraudeau ]

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Le Cycle... le cycle du cosmos dans la vie... c'est une grande roue. Qui est faite de... choses, de moments, de "feelings"... et la vérité, c'est qu'il n'y a pas de vérité; la vérité, c'est qu'il faut trouver sa propre vérité. Ma vérité à moi? Comment veux-tu que je te parle de cette manière? Tu m'aurais parlé il y a cinq ans, ou bien il y a trois ans, ou il y a six mois! Ou hier... ou demain... Tu m'aurais parlé de cette manière, j'aurais pas pu te répondre de cette façon. Et grâce à ma propre vérité (dont je n'ai pas encore la réponse de la vérité), je peux te parler d'une manière plus sophistiquée. Il y a un an, je t'aurais parlé de mes muscles. De combien je mange le matin, combien je suis beau et combien je suis fort, je suis le meilleur... Mais en vérité, il n'y a pas de meilleur! En vérité, il y a chacun soi-même!



Citations cultes de JCVD
[ Jean-Claude Van Damme ]

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La laïcité française n'oppose pas la foi à l'incroyance. Elle ne sépare pas ceux qui croient que Dieu veille, et ceux qui croient aussi ferme qu'il est mort ou inventé. Elle n'a rien à voir avec cela. Elle n'est fondée ni sur la conviction que le ciel est vide ni sur celle qu'il est habité, mais sur la défense d'une terre jamais pleine, la conscience qu'il y reste toujours une place pour une croyance qui n'est pas la nôtre. La laïcité dit que l'espace de nos vies n'est jamais saturé de convictions, et elle garantit toujours une place laissée vide de certitudes. Elle empêche une foi ou une appartenance de saturer tout l'espace. En cela, à sa manière, la laïcité est une transcendance. Elle affirme qu'il existe toujours en elle un territoire plus grand que ma croyance, qui peut accueillir celle d'un autre venu y respirer.



Vivre avec nos morts (2021)
[ Delphine Horvilleur ]

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Au regard de l'histoire de la vie sur terre, celle de l'humanité commence à peine. Et pourtant, la voici déjà, par la faute de l'homme, menaçante pour la nature et donc elle-même menacée. L'Homme, pointe avancée de l'évolution, peut-il devenir l'ennemi de la Vie ? Et c'est le risque qu'aujourd'hui nous courons par égoïsme ou par aveuglement. Il est apparu en Afrique voici plusieurs millions d'années. Fragile et désarmé, il a su, par son intelligence et ses capacités, essaimer sur la planète entière et lui imposer sa loi. Le moment est venu pour l'humanité, dans la diversité de ses cultures et de ses civilisations, dont chacune a droit d'être respectée, le moment est venu de nouer avec la nature un lien nouveau, un lien de respect et d'harmonie, et donc d'apprendre à maîtriser la puissance et les appétits de l'homme.



Discours au IVe Sommet de la Terre, Johannesburg, 2 septembre 2002.
[ Jacques Chirac ]

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J’attends que [les femmes] fassent la révolution. Je n’arrive pas à comprendre, en fait, qu’elle n’ait pas déjà eu lieu. Des colères se sont exprimées, des révoltes ont éclaté çà et là, suivies d’avancées pour les droits des femmes. Mais nous sommes encore si loin du compte. Il nous faut une révolution des mœurs, des esprits, des mentalités. Un changement radical dans les rapports humains, fondés depuis des millénaires sur le patriarcat : domination des hommes, soumission des femmes. Car ce système n’est plus acceptable. Il est même devenu grotesque. Pendant longtemps, la soi-disant incompétence des femmes a servi à justifier leur exclusion des lieux de pouvoir et de responsabilité. Forcément, une femme instruite étant réputée dangereuse, on s’arrangeait pour les priver d’instruction ou d’accès aux meilleures écoles.



Une farouche liberté (2020)
[ Gisèle Halimi ]

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Car il n'y avait pour moi qu'une espérance de salut : qu'on me reconnaisse écrivain, et par écrivain je n'entendais pas seulement celui qui publie des livres, ce dont je n'espérais ni gloire ni tirage mirifique, non, simplement ceci, qui aux yeux de quiconque passerait pour une absurdité bien plus grande que de convoiter le succès, ceci qu'on attribuerait à un esprit au mieux rêveur au pire dérangé, ceci qui vaut en retour à celui qui annonce son ambition des regards moqueurs ou de compassion, mais enfin ceci : une place dans ce qu'il est convenu d'appeler la littérature, ce domaine réservé où l'on croise les tourneurs de phrase et les jongleurs du verbe, les bâtisseurs de mondes et d'imaginaires. Ce dont aujourd'hui, maintenant que les dés sont jetés, je me moque un peu, pas complètement mais un peu tout de même.



Kiosque (2019)
[ Jean Rouaud ]

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Si l'on jette un coup d'œil sur ce qui a été écrit jusqu'ici, l'impression pourrait facilement se dégager que ce qui compte, pour moi, c'est uniquement de dénombrer avec malveillance les faiblesses de mes pauvres parents afin de les faire passer ensuite pour les méchants qui m'auraient détraqué et auxquels il faudrait donc attribuer tout mon malheur. Mais j'ai tendance à croire qu'il y a davantage, dans ce récit, que la simple intention de rendre mes parents responsables de ce que j'aurais dû mieux savoir et mieux faire. Aujourd'hui, mes parents sont beaucoup moins, à mes yeux, les « coupables » que les co-victimes de la même situation faussée. Ils n'étaient pas les inventeurs de cette mauvaise façon de vivre ; ils étaient bien davantage –tout comme moi- dupes de cette vie mauvaise, acceptée sans esprit critique.



Mars (1977)
[ Fritz Zorn ]

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