Livres classiques

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Un homme dans la foule

Jadis légendaire, aujourd'hui un peu oublié, l'écrivain et scénariste américain Budd Schulberg (1914-2009) fut un auteur engagé dès ses premiers livres : Qu'est-ce qui fait courir Sammy ? (1941), Plus dure sera la chute (1947), Le Désenchanté (1950)... Après avoir écrit pour Elia Kazan le script de Sur les quais (1954), Schulberg tira de sa nouvelle Your Arkansas traveler un autre scénario pour le cinéaste, qui en fit un film en 1957. On y découvre un certain Lonesome Rhodes, jeune chanteur folk issu du fin fond du Wyoming, embauché par une radio locale et dont le magnétisme brutal séduit l'audience. Bientôt, il se met à débiter des idées politiques, parlant « au nom du peuple » et se projetant sur le toit du monde : « En trois ans, je deviendrai un putain de milliardaire. J'aurai une demi-douzaine de voitures. J'aurai deux cents costumes. J'aurai un wagon privé et un yacht, peut-être même un avion [...] Et je dirai aux gens quoi manger, qui aider et quoi penser. » Charge virulente contre le populisme et les médias, Un homme dans la foule se lit, six décennies plus tard, comme une parabole étonnamment contemporaine. Terriblement con­temporaine... — Christine Ferniot

 

Your Arkansas traveler, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Christophe Mercier, éd. des Equateurs, coll. Parallèles, 96 p., 9 €.


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Un homme dans la foule


2017-05-03 00:00:00

Les Deux Bouts

Auteur de récits, souvent autobiographiques comme La Belle Lurette (1935), Le Mérinos (1937) ou Le Bouquet (1945), et des plus connus Le Tout sur le tout (1948) et Peau d'ours (1958), Henri Calet (1904-1956) fut aussi un journaliste talentueux. Après le recueil Contre l'oubli (éd. Grasset, coll. Cahiers rouges), rassemblant des articles publiés dans Combat et Terre des hommes entre 1944 et 1948, voici Les Deux Bouts, un volume réunissant cette fois les articles qu'il écrivit pour Le Parisien libéré, Elle et Le Nouveau Femina, initialement publié en 1954 et que les éditions suisses Héros-Limite rééditent avec bonheur. Les « deux bouts », ce sont les fins de mois difficiles de ces « gens de peu » dont Calet raconte la vie avec une grande sensibilité. Des habitants du « Paris commercial, artisanal, industriel, en un mot : utilitaire, un Paris en tenue de travail ». Il les suit, n'entre chez eux que s'il y est invité et les écoute. Riton, le menuisier de la rue de Charonne, habite Bezons et a neuf gosses, une chèvre, des poules et des canards ; Mlle Denyse, comme sortie d'un roman de Zola, est vendeuse au Bon Marché ; Albert est éboueur et ne lit que des Série noire ; Monique est esthéticienne et va voir des films en VO... Calet dit où ils habitent, quel est leur emploi du temps, combien ils gagnent et ce qu'ils lisent. Aucun portrait figé : les mots de l'écrivain campent le décor, disent les sourires et les confidences, les petits bonheurs comme les soucis du jour. Ce journaliste arpenteur est un magnifique conteur, toujours pudique, toujours à redécouvrir. — Gilles Heuré

 

Ed. Héros-Limite, coll. Tuta Blu, postface de Jean-Pierre Baril, 224 p., 18 €.


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Les Deux Bouts


2017-05-03 00:00:00

Deux soeurs

En version originale, le roman s'intitule The Watch Tower, c'est-à-dire « la tour de guet », mais inutile de scruter le décor pour tenter de l'apercevoir, car il ne s'agit pas d'un édifice tangible, plutôt d'une disposition humaine, d'un état de l'âme dont cette tour, où l'on se tient pour observer et attendre, est la métaphore. En l'occurrence, c'est la posture dans laquelle se tient Clare, l'une des deux héroïnes de cette envoûtante fiction : « Clare jeta un oeil par sa fenêtre, au-delà des plates-bandes et des camphriers au feuillage clair sous lesquels, la saison venue, freesias et jonquilles parsemaient la pelouse [...] Cette fenêtre était sa tour de guet. Toutes les fenêtres faisaient partie de la tour de guet. Tout son être observait presque sans cesse l'extérieur, où qu'elle se trouvât, quelle que fût son activité du moment. »

Clare et sa soeur aînée Laura sont encore deux enfants quand s'ouvre le roman. Deux écolières, dans une bourgade australienne, dont le père vient de mourir, et qui se voient confiées à leur mère, jusqu'alors absente de leur existence. Désormais installées à Sydney, Laura et Clare grandissent comme elles peuvent, soumises au despotisme lymphatique de leur narcissique et indolente génitrice, jusqu'au jour où celle-ci décide brusquement de quitter l'Australie pour l'Angleterre. Sans s'encombrer de ses filles, qu'elle lègue, en quelque sorte, au prospère Felix, l'employeur quadragénaire de la jeune Laura, qui l'a demandée en mariage et, avec bon coeur, a accepté de s'occuper aussi de Clare, encore adolescente. Voici donc les deux soeurs qui emménagent dans la villa blanche et spacieuse de Felix — et c'est de là que Clare, inconsciemment, inlassablement, guette.

« Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir ? » supplie, au pied de la tour de guet du château de son sanguinaire époux, la femme de Barbe-Bleue dans le conte de Perrault dont ce roman au réalisme très subtilement dérangé, ancré dans l'Australie des années 1930-1950, est une réécriture subjuguante. C'est qu'il s'avère que l'affable Felix est en réalité un tyran domestique machiste et refoulé (un pervers narcissique, diagnostiquerait assurément la doxa contemporaine), dont la volonté d'emprise et les accès de violence iront gran­dissant au fil du temps, des ans — cependant, songe Clare, « qui pouvait s'échapper ? Qui pouvait faire autre chose que s'étonner avec lassitude d'être encore en vie ? Qui avait assez de réserves d'énergie et d'initiative pour le simplement raisonnable ? Quelle promesse d'un plan d'évasion le monde leur avait-il jamais faite ? Que pouvait-on désirer d'autre, au milieu de ce cauchemar, que la fin de l'angoisse ? Mais quel individu raisonnable et sensible ne se moquerait pas de l'idée qu'il pût exister, dans une charmante maison coloniale de banlieue aux murs blancs, une situation humaine dépassant les pouvoirs de réparation du bon sens ? »

L'une acceptera la servitude — c'est Laura —, l'autre s'y soustraira — c'est Clare —, mais, au-delà du patient dénouement de l'intrigue, c'est la façon tout sauf ordinaire dont la romancière s'insinue dans les psychés exténuées de ses personnages et rend compte des remuements qui les agitent qui retient et captive. L'intensité d'un soleil matinal, la rassurante banalité d'un décor urbain, un geste machinal (« les doigts de sa main gauche posés sur sa clavicule »)... semblent des indices cruciaux, dans cette enquête psychologique tout ensemble infiniment précise et résolument allusive. Initialement paru en 1966, Deux Soeurs confirme le saisissant talent d'Elizabeth Harrower (née en 1928), sur lequel l'an dernier, traduisant Un certain monde, les éditions Rivages nous avaient entrouvert la porte. — Nathalie Crom

 

The Watch Tower, traduit de l'anglais (Australie) par Paule Guivarch, éd. Rivages, 336 p., 22,50 €.


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Deux soeurs


2017-05-03 00:00:00

Mes indépendances. Chroniques 2010-2016

« Dans le monde d'Allah, la femme est niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée. » L'an passé, sa chronique dans Le Monde sur les agressions de Cologne, dans laquelle il évoquait le profond sexisme du monde arabo-musulman avait valu à Kamel Daoud une violente polémique, l'accusation, très en vogue, d'« islamophobie ». La publication de Mes indépendances, recueil de cent quatre-vingts de ses textes, parus essentiellement dans Le Quotidien d'Oran, de 2010 à 2016, est une manière de flamboyante réponse d'un esprit libre à ceux qui l'accusaient d'essentialiser l'homme arabe : « Je suis algérien, je vis en Algérie, et je n'accepte pas qu'on pense à ma place. [...] L'accusation d'"islamophobe" est servie comme une fatwa. C'est un peu le synonyme poli d'hérétique, d'apostat, d'impie. Vous êtes donc islamophobe si vous êtes contre l'invention horrible de la burka comme linceul vivant [...], quand vous ­résistez à l'islamisation de l'espace national, de la justice, de la culture, du sens et de l'avenir des écoles. [...] Elle a étendu ­l'espace de ce qui est interdit à la critique, à la réflexion, à la contestation. Elle menace puis s'érige en police des idées. Et il ne faut pas y céder ni reculer. »

S'affranchir du prêt-à-penser, du passé, du récit national pour rêver d'autres possibles... tel est le credo du lauréat du Goncourt du premier roman 2015, reçu pour le magnifique Meursault, contre-enquête. Alliant humour et férocité, ses chroniques arpentent six années d'actualité féconde. Vibrant au pouls des révolutions arabes, Daoud constate douloureusement : « Ces pays vivent peut-être la peur, le désordre, le cafouillage des naissances et les anarchies, mais ils ont un point en commun : ils rêvent.[...] C'est toute la différence avec nous : en Algérie, la peur du chaos a créé la soumission au quotidien. » Et se refuse à prononcer leur acte de décès : « Il est supposé que les révolutions doivent fournir, dans nos géographies, leur fruit dans l'immédiat ; une vision fast-food du changement. [...] Aux gens du Sud, il est demandé de conclure la révolte par la démocratie dans le délai des jours ouvrables de la semaine, ce qu'on ne demande pas à ce processus au Nord. »

Algérie momifiée de Bouteflika, complaisance de l'Occident et des dictatures régionales pour l'Arabie saoudite, prégnance grandissante de la religion, Etat islamique, statut de la femme... au fil des jours, le scalpel réjouissant de Daoud charcute partout où cela fait mal. N'abdiquant jamais son insoumission, son insolence, son indépendance. — Marie Cailletet

 

Ed. Actes Sud, 464 p., 23,90 €.


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2017-05-03 00:00:00

Éloge du peu

 

Les deux livres ont presque quatre-vingt-cinq ans d'écart, et pourtant ils semblent jumeaux. Commençons par le plus récent, Eloge du peu, écrit par un moine zen japonais de 38 ans, Ryûnosuke Koike. L'auteur confesse son passé de « sale type, parfaitement méprisable », de « jeune bon à rien dominé par l'orgueil », obnubilé par l'acquisition des derniers vêtements à la mode « pareils à une armure protégeant mon ego malingre ». Ce n'est pas son repentir qui fait l'originalité de son livre, mais la solution qu'il propose : apprendre à jeter. Très convaincante est sa démonstration des bienfaits de l'élimination volontaire de tout ce qu'on accumule en vain, et dont la possession laisse une trace encombrante dans l'esprit, même quand les objets ont été relégués aux oubliettes. Pour Koike, la sérénité vient quand le mental cesse d'être un entrepôt d'achats inutiles et peut se consacrer à la compréhension de ses besoins réels.

En 1933, Jun'ichirô Tanizaki publiait Eloge de l'ombre, devenu un grand classique de la littérature japonaise, annonciateur de bien des maux d'aujourd'hui. Le texte est republié sous le titre Louange de l'ombre, dans une nouvelle traduction fluide et très vivante, soucieuse de retrouver la décontraction de son auteur, convaincu que « ce qui brille fort ne procure pas l'apaisement de l'esprit ». Pour Tanizaki, préserver l'ombre et le vide autour de soi permet de vivre dans un monde « conçu pour la paix de l'âme ». Les deux ouvrages se complètent et se répondent. Tout est question de style. Clair et précis, le premier s'apparente à un guide pratique de survie, tandis que le second s'honore d'une exigence d'écriture régénératrice. — Marine Landrot

 

Eloge du peu (Bimbô nyûmon), traduit du japonais par Myriam Datois-Ako, 192 p., 18,50 €.

Louange de l'ombre (In'ei raisan), traduit du japonais par Ryoko Sekiguchi et Patrick Honnoré, éd. Philippe Picquier, 112 p., 13 €.


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2017-05-03 00:00:00

Le Coup de Prague

Vienne, février 1948. Pour les besoins du film dont il écrit le scénario (le futur Troisième Homme), Graham Greene séjourne dans la capitale autrichienne. A moitié détruite, affamée et placée sous le contrôle des puissances alliées, l'ancienne cité des Habsbourg est devenue un véritable nid d'espions. Mensonges, faux-semblants, trahisons : dans cette ambiance délétère, l'écrivain britannique — qui est aussi un agent du MI6, les services secrets de Sa Très Gracieuse Majesté — est comme un poisson dans l'eau... En intriquant minutieusement faits avérés et hypothèses, personnages réels et fictifs, Jean-Luc Fromental a rendu une copie historiquement irréprochable, qui jette une lumière nouvelle sur les singulières relations qu'entretenaient Greene et son ami et supérieur hiérarchique Kim Philby, maître espion et taupe soviétique. Un modèle d'horlogerie et d'érudition, servi par le dessin de Miles Hyman, le plus francophile des illustrateurs américains, qui excelle — comme le montrait déjà son adaptation du ­Dahlia noir (2013) — dans les ambiances interlopes et les couleurs passées de l'immédiat après-guerre. Statique, son dessin fait la part belle aux regards, aux dialogues, souligne le poids de ­certaines situations, leur sens caché. Le Coup de Prague se déguste sans se presser, à petites lampées, et les amateurs de Greene y retrouveront une ­ambiguïté, des ambiances et une petite musique familières. Les autres, qui n'ont jamais pu finir La Puissance et la Gloire, le style lent, suffocant et terriblement sérieux d'un auteur dont la vie était autrement plus palpitante que l'oeuvre. Dommage, d'ailleurs, que personne n'ait encore entrepris de la mettre en images... — Stéphane Jarno

 

Ed. Dupuis, 112 p., 18 €.


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2017-05-03 00:00:00

Traversée en eau claire dans une piscine peinte en noir

L'immersion est immédiate : Cookie Mueller sort sur High Street, à San Francisco, et tombe sur six filles qui ­attendent Charlie, disent-elles. Cookie poursuit sa route — elle apprendra plus tard qu'il s'agissait de Charles Manson et qu'elle l'a manqué de peu. La veille, elle était avec Jimi Hendrix. Tout à l'heure, elle remplira trois cents capsules de LSD ou d'héro pour dealer un peu. Tout se mélange dans sa tête, mais ce qui importe, c'est que Jim Morrison soit là et que, plus tard dans la journée, elle puisse mixer coke et crystal afin que la soirée devienne étincelante. Cookie sait tout faire : jouer les muses pour le metteur en scène John Waters, accoucher dans la douleur, prendre la pose devant Nan Goldin ou Robert Mapplethorpe. Et elle sait aussi raconter des histoires... Ce recueil autobiographique de la performeuse et actrice Cookie Mueller (1949-1989) dépeint, sur un ton désinvolte, une ère de folie incendiaire : en compagnie de cette déesse méconnue des seventies, on traverse l'Amérique hippie à l'arrière d'une Mustang Mach 4 bordeaux, en buvant des litres de Jack Daniel's pour faire passer les poignées de Dexedrine.

L'essentiel, c'est l'aventure, l'instant — et tant pis pour le prix à payer. L'écriture délurée de Cookie Mueller remplit la vie d'oxygène. Cette liberté se teinte pourtant de noir dans un dernier texte datant des années 1980 : le ­sida, explique-t-elle, a tué ses amis artistes qui, comme elle, combattaient « l'ignorance, la faillite de la beauté, la désertion de la culture ». La fête est finie... — Christine Ferniot

 

Walking through clear water in a pool painted black, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Romaric Vinet-Kammerer, éd. Finitude, 192 p., 17 €.


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2017-04-26 00:00:00

Van Gogh, Ni dieu, ni maître

On croyait tout savoir du « suicidé de la société » cher à Antonin Artaud. Dans Van Gogh, Ni dieu, ni maître, la passionnante monographie que lui consacre l'historien de l'art français Jan Blanc, on découvre encore... Hanté par Dieu et une rédemptrice souffrance christique, le rejeton néerlandais d'une lignée de pasteurs, tenté lui-même par la prédication dans sa jeunesse ? Jan Blanc détruit ce cliché au fil de somptueuses reproductions qui corroborent sa réflexion. Ainsi, de 1880 à 1890 — dix ans de peinture seulement ! —, le cheminement artistique de Van Gogh (1853-1890) est celui d'une lente « décroyance ». Elle l'amènera à un athéisme politique, artistique et moral. Engagé auprès des humbles, ouvriers ou paysans, avec une conscience de classe marxiste, épris de littérature réaliste — de Flaubert à Zola, en passant par Maupassant —, Van Gogh cherche peu à peu à résister à Dieu comme à toute forme d'assujettissement. A la manière de Nietzsche, il estime que l'art doit exalter les forces du corps et du désir plutôt que hanter le monde des idées. Il croit en la vie plus qu'en aucune religion. Et s'acharne à cerner, explorer la matière dans tout son éclat, à se défaire de tout mysticisme magique. C'est pour ça, aussi, qu'il lutte contre sa folie avec la passion de la santé... Jusqu'à son suicide dans un champ en plein soleil. Comme pour jouir une dernière fois du monde. — Fabienne Pascaud

 

Ed. Citadelles & Mazenod, 430 p., 189 €.


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2017-04-26 00:00:00

Lettres choisies de la famille Brontë 1821-1855

Le 13 juin 1849, quelques jours après la mort de sa soeur Anne, dans une lettre à son ami l'éditeur W.S. Williams, Charlotte Brontë dresse ce bilan navré des derniers mois écoulés : « Si, il y a un an, un prophète m'avait prédit en quel état ce mois de juin 1849 me trouverait — dépossédée, endeuillée —, s'il m'avait peint à l'avance l'automne, l'hiver et le printemps de maladie et de souffrances à traverser, j'aurais juré ne pouvoir endurer un tel supplice. Tout est fini. Branwell, Emily, Anne ont passé comme autant de rêves — comme étaient passées Maria et Elizabeth vingt années plus tôt. Un à un, je les ai veillés tandis qu'ils s'endormaient dans mes bras — et j'ai fermé leurs yeux voilés, un à un, je les ai vu mettre en terre... » A 33 ans, ayant perdu (de la tuberculose) et enterré en l'espace de trois saisons ses trois cadets Maria et Elizabeth, les deux aînées de la fratrie qu'elle mentionne, étaient mortes encore enfants, en 1825 , Charlotte Brontë se retrouvait seule, « dans un silence fatal ». Seule au presbytère de Haworth, la maison familiale du Yorkshire, en compagnie de son père, le révérend Patrick Brontë, de deux servantes et des deux vieux chiens d'Emily et d'Anne. « C'est du travail que doit venir la guérison, et non de la compassion — le travail seul triomphe des chagrins les plus tenaces », ajoutait-elle, le 25 juin, dans une autre lettre, destinée au même ami.

Parce qu'elle vécut un peu plus longtemps que ses frère et soeurs, parce que aussi, certainement, elle était d'un tempérament plus sociable, parce que enfin son amie et principale correspondante, Ellen Nussey, prit soin dès l'adolescence de conserver les lettres qu'elle avait reçues, Charlotte figure au tout premier plan de ce volume rassemblant les lettres des Brontë — l'édition anglaise en regroupe plus de mille, dont trois cents ont été conservées pour composer cette première version française, traduite et annotée avec beaucoup de soin. Dès l'adolescence, c'est essentiellement grâce aux missives de Charlotte — entre elles, de temps à autre, vient se glisser une lettre de Branwell, d'Emily ou du révérend — que s'entrouvre l'intimité de l'extraordinaire fratrie, dont le quotidien et les pensées s'organisent autour de la religion, de l'étude et de la poésie.

Entre les murs du presbytère de Haworth infusait un formidable et imprévisible phénomène littéraire. L'éclosion se produisit en 1846. Sous les pseudonymes masculins Currer, Ellis et Acton Bell, Charlotte, Emily et Anne publiaient un recueil de poésie à six mains. Ce n'était qu'un prélude. « C., E. et A. Bell travaillent aujourd'hui à une oeuvre de fiction destinée à la publication. Elle se compose de trois récits distincts, sans lien aucun, que l'on pourra soit réunir dans une édition en trois tomes du même format que ceux des romans ordinaires, soit publier en volumes uniques — comme bon semblera », écrivit Charlotte à l'éditeur Aylott and Jones, le 6 avril de cette même année. Les trois soeurs soumettaient alors ­ensemble leurs premiers manuscrits romanesques. L'année suivante paraissaient Jane Eyre, Agnes Grey et Wuthering Heights (Les Hauts de HurleVent), ce chef-d'oeuvre gothique que Georges Bataille tenait pour « peut-être la plus belle, la plus profondément violente des histoires d'amour ».

Les lettres de Charlotte ne lèvent en rien le voile sur le secret prodige littéraire survenu au mitan du xixe siècle, dans une bourgade ordinaire du pluvieux Yorkshire — mais elles l'incarnent en une jeune femme vive et sensible qui, à 39 ans, rejoignit ses soeurs dans la tombe. — Nathalie Crom

 

Traduit de l'anglais et annoté par Constance Lacroix, éd. Quai Voltaire, 622 p., 25 €.


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2017-04-26 00:00:00

Bons pour le service

Alors que la question d'un service remodelé, sinon militaire, du moins civil, refait surface dans les programmes de certains candidats à la présidentielle, la lecture de l'essai de l'historienne Odile Roynette s'avère précieuse. Abordant la question de la caserne à la fin du xixe siècle, l'auteur envisage les multiples aspects de la découverte de cet espace militaire par les jeunes conscrits. La conception du service militaire au lendemain de la défaite de 1870, les modèles d'organisation, « ce moment de transition au cours duquel la caserne, et avec elle la condition de soldats, s'insinue dans la vie d'une majorité d'hommes » : les différentes approches politiques, sociales et culturelles, mais aussi anthropologiques et philosophiques, multiplient les perspectives et rendent ce livre passionnant. — Gilles Heuré

 

Ed. Belin, 560 p., 11,90 €.


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2017-04-26 00:00:00