Livres classiques

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Little Brother

« Tout est faux dans la cigarette électronique : le glycol tient lieu de tabac, les parfums sont de synthèse, le foyer n'est qu'une diode, la fumée n'est qu'une buée... » A quoi tient le succès de cette « fascinante contrefaçon » ? Voilà l'une des pistes de réflexion ouvertes par Raphaël Enthoven, dans Little Brother, une série de chroniques invitant à décrypter quelques-unes de nos mythologies contemporaines : le vintage, « dont l'obsolescence garantit la persistance » ; l'emoji, « la cerise sur le texto » ; Uber ou « la guerre sans merci du village global contre le village gaulois » ; la poupée Barbie, « étoffe qu'aucune chair ne peut singer » ; le selfie, « morale qui remplace le bonheur par son spectacle »... « Quand on fait la philosophie du sèche-mains ou de l'urinoir, on peut donner le sentiment qu'on est une sorte de poujadiste ou de démagogue qui répand l'idée que tout le monde fait de la philo sans le savoir, alors que c'est tout le contraire », précise aussi Enthoven dans le dernier numéro de la Revue de la BNF, consacré aux liens entre philosophie et culture populaire. Une pop philo appliquée aux séries télévisées, à la BD, au rugby ou à la mode. La philosophie gagne à se décentrer d'elle-même et à s'intéresser à la culture de masse, aux saillies de l'actualité, à tous ces « objets familiers qui nous entourent, matériels ou culturels, fausses évidences pourtant saturées d'idéologie », comme l'affirment en préambule Cristina Ion et Eric Mougenot, maîtres d'oeuvre du dossier, qui n'ont qu'un credo : philosopher partout, philosopher de tout. — Juliette Cerf

 

Little Brother , de Raphaël Enthoven, éd. Gallimard, 128 p., 11 € ; Pop Philo. Philosophie et culture populaire, Revue de la Bibliothèque nationale de France , no 54, 184 p., 25 €.


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Little Brother


2017-05-24 00:00:00

Celui qui va vers elle ne revient pas

« Celui qui va vers elle ne revient pas », dit le judaïsme. Elle, c'est l'hérésie. La crise de foi n'admet pas d'aller-retour. Dans cet ahurissant récit à la première personne, à la fois méticuleux et poignant, Shulem Deen, un Américain quadragénaire, en témoigne. Au bout de vingt ans d'enseignement talmudique, sa vie au sein d'une stricte communauté hassidique au nord de New York lui a paru peu à peu absurde. Plus l'un de ses camarades lui assénait les motifs rationnels de croire au Dieu des Juifs, plus sa foi irrationnelle lui semblait... déraisonnable. Au point d'être finalement sommé de quitter ce curieux shtetl contemporain.

Sa vie nous plonge jusqu'à la suffocation dans un univers ultra-ritualisé, coupé de la société actuelle, où l'on parle mieux le yiddish que l'anglais et où l'on ne se défait jamais de l'uniforme du croyant : lourd costume noir, toque en fourrure ou chapeau à large bord et longues papillotes sur les tempes. Les mariages sont arrangés et il faut un rabbin compréhensif pour expliquer vaguement quel est ce « service de lit » que l'époux doit ­accomplir deux fois par semaine...

Un poste de radio écouté la nuit — debout sur une chaise, l'oreille contre l'appareil —, puis le diabolique Internet ont attisé la curiosité du narrateur pour le monde extérieur. Bientôt, Shulem Deen épanche ses doutes sur un blog, Hasidic Rebel — le rebelle hassidique. C'est l'épiphanie harmonieuse du ­témoignage : la belle ouverture au monde, la première visite (infructueuse) dans un bar new-yorkais, la première oreille amie qui écoute sa métamorphose... Et l'aide portée à ceux qui, comme lui, rêvent d'études non ­religieuses, d'une vie loin de tout fanatisme, qu'ils soient croyants ou non.

Shulem Deen l'a payé cher : après son divorce, il n'a plus vu ses enfants, élevés dans le rejet de l'hérétique. Au xviiie siècle, explique-t-il, le hassidisme fut détourné de ses objectifs ­libérateurs pour devenir un rite autoritaire où ignorance et obéissance sont les ferments de la foi. Toutes les religions ont leurs extrémismes. Tous ceux qui les subissent n'ont pas la force de s'en sortir, et de le raconter... — Aurélien Ferenczi

 

All who go do not return, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Karine Reignier-Guerre, éd. Globe, 416 p., 22 €.


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Celui qui va vers elle ne revient pas


2017-05-24 00:00:00

Ecoute-moi bien

C'est l'histoire d'une passion dévorante, et dérangeante, entre une mère et sa fille. Quelque chose qui vous transcende et vous tue, vous euphorise et vous désespère. Que celles qui redoutent les relations maternelles castratrices et sublimes ne s'approchent pas du dernier opus, brûlant, de Nathalie Rykiel : une lettre d'amour écrite à sa mère — l'audacieuse styliste Sonia Rykiel, autoproclamée avec insolence « reine du monde » — dès que s'est éteinte cette rousse flamboyan­te, le 25 août 2016. Une obsession fondatrice qu'a déjà abordée celle qui défila pour maman comme mannequin à 20 ans, puis la seconda dans l'ombre longtemps, lui apporta ses idées, avant de devenir directrice générale et artistique de la maison de couture de quatre cents salariés, et bientôt présidente. Pas facile de se faire une place auprès d'une créatrice orgueil­leuse, narcissique et jalouse, folle de sa liberté. Et de son génie : celui d'avoir libéré et rendu à une vénéneu­se sensualité la femme intello branchée des années 1970... Sonia adorait sa fille, double dévoué, mais ne l'a jamais félicitée de rien, remerciée de rien. Et vécut un drame quand Nathalie dut lui imposer de ne plus saluer aux défilés, rongée qu'elle était par la maladie de Parkinson. Elle s'occupa avec une tendresse folle de la génitrice malade, qui avait su recevoir et imaginer des fêtes comme personne, cultiver les amants et offrir même à sa fille les clés de sa garçonnière...

Relation terrifiante et magnifique. Nathalie Rykiel l'évoque fiévreusement au fil de souvenirs vagabonds, à coups de phrases trouées, éperdues. Sonia Rykiel a revêtu sous sa plume le costume des grandes héroïnes de la tragédie grecque. Elle n'est pas si loin de la magicienne et ensorceleuse Médée... — Fabienne Pascaud

 

Ed. Stock, 144 p., 17 €.


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Ecoute-moi bien


2017-05-24 00:00:00

Paiement accepté

Paris, 2058. Charles Bernet est au sommet de sa gloire. Multi-oscarisé, porté aux nues par la critique, son dernier film, La Continuité grise, attire les foules et le consacre comme l'un des réalisateurs les plus importants de son temps. Surtout, il lui permet enfin de s'atteler à Merci, pardon, l'ambitieux film de SF dont il rêve depuis des lustres. Mais, peu de temps après le début du tournage, Bernet est victime d'un grave accident. Cloué sur son lit d'hôpital, privé de l'usage de ses jambes, le quinqua l'est bientôt aussi de son film. A la demande du producteur, le premier assistant prend sa suite et réalise ce qui devait être l'oeuvre de sa vie...

Avec ces ingrédients dignes d'une tragédie classique, on s'attendait à des torrents d'amertume, quelque ouragan introspectif ou au moins à une vaste parabole sur l'orgueil, la chute et la rédemption. Tel n'est pas le propos d'Ugo Bienvenu. Le jeune auteur se contente de raconter une tranche de vie. Tout est propre, bien cadré, visuellement étonnant, mais sans affect ni empathie pour ses personnages. N'étaient les fantaisies qu'autorise le futur proche où se déroule l'action : voitures flottantes, trains à sustentation magnétique, coiffures extravagantes... Paiement accepté aurait aussi bien pu se passer dans les années 1950 ou 1970, quelque part entre Mulholland Drive et Saint-Nom-la-Bretèche. Particulièrement réussi, ce flottement spatio-temporel confère un charme bizarre, presque « lynchien », à l'album. L'intrigue, elle, convainc moins ; difficile de lui prêter des intentions ou un sens clairs. Peut-être faut-il pren­dre cet ovni comme un hommage au septième art. Scènes, dialogues, personnages : tout, ici, semble y faire écho. Une passion dévorante qui brasse dans le même élan Claude Sautet, Les Choses de la vie, John Cassavetes, Les Ensorcelés, L'Arrangement ou encore L'Année dernière à Marienbad, et fait de ces cent cinquante pages en Technicolor une authentique gourmandise cinéphilique. — Stéphane Jarno

 

Ed. Denoël Graphic, 144 p., 21,90 €.


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2017-05-24 00:00:00

Frankie Addams - Le coeur est un chasseur solitaire - Reflets dans un oeil d'or - L'Horloge sans aiguilles - La Ballade du café triste

C'est tout sauf un massif, tout sauf un continent. Une oeuvre mince, au contraire, circonscrite et singulière comme une province, qu'a laissée derrière elle Carson McCullers (1917-1967) : quatre romans — Le coeur est un chasseur solitaire (1940), Reflets dans un oeil d'or (1941), Frankie Addams (1946), L'Horloge sans aiguilles (1961) — aujourd'hui réédités, quelques nouvelles, une poignée de poèmes (1) . A quoi s'ajoutent des articles, des lettres, des ébauches autobiographiques, autant de fragments gravitant autour du noyau dur de ses fictions comme de précieux satellites, lacunaires et éclairants. Ecrivain du Sud, de l'enfance, de l'identité qui se cherche en vain, Carson McCullers a composé, en quelques livres, un saisissant et poignant théâtre au centre duquel elle a placé une tragédie intime et universelle : la solitude, l'incommunicabilité, le désespoir de n'être qu'un, de n'être que soi. Une blessure inguérissable qui lacère le coeur de ses personnages, à commencer par celui de Frankie Addams, l'adolescente héroïne éponyme de son troisième roman, exprimant le désarroi de n'appartenir à rien ni personne avec une simplicité enfantine et bouleversante : « Le terrible avec moi, c'est que pendant longtemps, je n'ai été qu'un Je. Tout le monde fait partie d'un Nous, sauf moi. Si on ne fait pas partie d'un Nous, on se sent vraiment trop seul. »

« Les voix venues de l'enfance sonnent plus juste », disait Carson McCullers. Elle était née Lula Carson Smith, à ­Colombus, en Géorgie — une ville minière où, « dans les rues, les visages portaient souvent l'empreinte désespérée de la faim et de la solitude », décrira-t-elle, et où « chaque après-midi, le monde avait l'air de mourir », lit-on dans Frankie Addams. Si elle quitta Colombus pour New York à 17 ans, elle y revint en fait, en pensée, dans chacun de ses ­romans. Tennessee Williams, qui fut son ami, soulignait dans sa postface à Reflets dans un oeil d'or l'importance de cet ancrage qui rattache McCullers à « l'école gothique » des écrivains du sud des Etats-Unis. Une famille de romanciers, emmenée par William Faulkner, et que fédère « un penchant avant-coureur pour des choses souvent qualifiées de morbides » qui n'est, poursuit Williams, que la manifestation de « l'intuition de l'horreur sous-jacente de l'expérience moderne ». Les personnages de McCullers, humble cohorte de maladroits, de solitaires, de marginaux, d'impuissants et d'infirmes, évoquent une version compatissante de l'humanité grotesque et sans grâce qu'a dépeinte, avec une férocité à la Bruegel, l'immense Flannery O'Connor qui fut sa contemporaine. Interrogée sur cet étrange casting, McCullers expliquait, pour sa part : « L'infirmité physique est le symbole de l'infirmité spirituelle [...] : une incapacité qui interdit d'aimer ou de recevoir l'amour. »

Elle-même aima Reeves McCullers, l'épousa à 20 ans, prit son nom. Lui aussi se voulait écrivain — « son échec, en ce domaine, est l'une des blessures qui ont causé sa mort », a-t-elle écrit après le suicide de Reeves, à Paris, en 1953, qui la laissa orpheline, comme amputée d'une moitié d'elle-même. Elle avait alors 35 ans et des poussières, était physiquement disloquée par la maladie et avait composé déjà presque l'intégralité de son oeuvre — elle y ajouta néanmoins le troublant roman L'Horloge sans aiguilles, commencé en 1952, achevé neuf ans plus tard. Ecrire, malgré tout, puisque, confiait-elle, « que je sois bien portante ou malade, il faut que je sois en mesure d'écrire, car ma vie dépend presque entièrement de l'écriture ». Ecrire car lorsqu'elle ne le faisait pas, elle ressentait littéralement « un écrasement de l'âme où tout espoir a disparu ». — Nathalie Crom

 

(1) Parallèlement aux rééditions en grand format paraissent en poche le recueil de McCullers Le Coeur hypothéqué et l'excellente et pénétrante biographie Carson McCullers. Un coeur de jeune fille, de Josyane Savigneau, au Livre de poche, ainsi que Illuminations et nuits blanches chez 10-18.

 

Préfaces d'Arnaud Cathrine, Eva Ionesco, Nelly Kaprièlian et Véronique Ovaldé, éd. Stock, coll. La Cosmopolite, 160 à 600 p., de 19 € à 24 €.


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2017-05-17 00:00:00

Dans ce jardin qu'on aimait

L'argument est irréel et poignant comme celui d'un conte : il était une fois, au xixe siècle, dans un presbytère isolé au nord de l'Etat de New York, un veuf inconsolable qui chercha à apaiser son chagrin en notant phonétiquement, sur une page blanche - cela un demi-siècle avant l'irruption sur cette terre d'un génie nommé Olivier Messiaen... -, « tous les chants des oiseaux qu'il avait entendus, au cours de son ministère, venir pépier dans le jardin de sa cure ». Attentif aussi « à l'appel des chants de la forêt et des vagues des onze lacs glaciaires qui entouraient sa maison », notant « jusqu'aux gouttes de l'arrivée d'eau mal fermée dans l'arrosoir sur le pavé de sa cour ».

Il était une fois... Même s'il ne figure pas explicitement, l'incipit est souvent suggéré au seuil des livres de Pascal Quignard. En l'occurrence, il ne s'agit pas d'une fable, l'homme d'Eglise éploré se nommait Simeon Pease Cheney. Il est mort en 1890, à 72 ans, léguant aux hommes le fruit de ses observations sonores patientes, sous la forme d'un opus intitulé La Musique des oiseaux (en VO, Wood Notes Wild). Cet homme pour toujours et à jamais inconsolé, mais qui survécut, le coeur navré, en se postant dans le jardin qu'avait pensé et planté son épouse pour s'y mettre à l'écoute de la beauté du monde, Pascal Quignard le place au centre de Dans ce jardin qu'on aimait - moins un roman qu'une cantate à plusieurs voix (Simeon, sa fille, Rosemund ; son épouse morte, le récitant), un chant grave et épuré, un hymne à l'amour éternel. — Nathalie Crom

 

Dans ce jardin qu'on aimait, éd. Grasset, 170 p., 17,50 €. Viennent aussi de paraître Une journée de bonheur, aux éditions Arléa (146 p., 11 €), une grisante méditation sur l'instant, et Performances de ténèbres, chez Galilée (256 p., 26 €), une réflexion sur la scène et la représentation, irriguée d'autobiographie.


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2017-05-17 00:00:00

Mémoires de guerre Vol. 1 : Mon rôle dans la chute d'Adolf Hitler

Si pour vous le comique troupier se résume à La Septième Compagnie et aux Bidasses en folie, plongez-vous dans Spike Milligan (1918-2002), par ailleurs comédien et auteur de sketches, aussi connu outre-Manche que Coluche chez nous. Car si, chez lui, il y a du « troupier », il y a surtout du « comique ». Et un comique pétaradant, « hénaurme », grinçant, qui flingue à tout-va, certes pas toujours délicat (flatulences et grivoiseries y tiennent une place non négligeable) mais souvent hilarant... En septembre 1939, Milligan, 21 ans, est invité par Sa Gracieuse Majesté à prendre part aux combats qui s'annoncent. Nommé opérateur radio sur la côte sud du pays, il va répondre à l'absurdité de la guerre en multipliant farces et insubordinations, qui lui vaudront de partir pour l'Afrique du Nord. Premier des sept volumes des Mémoires de guerre ( !) de Spike Milligan, Mon rôle dans la chute d'Adolf Hitler frappe par l'insolente subversion de cet inadapté à l'héroïsme et à la discipline. S'il a été impuissant à enrayer l'ascension d'Hitler, Milligan a inspiré les Monty Python, qui lui vouaient un culte. Une autre sorte de victoire... — Hubert Prolongeau

 

Traduit de l'anglais par Béatrice Vierne, éd. Wombat, 224 p., 18 €.


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2017-05-17 00:00:00

À coups de pelle

En période d'agnelage, Daniel ne dort plus. Même si la nuit semble calme, les brebis proches du terme ont besoin de lui, de ses gestes précis. Dehors, un peu plus loin, le « grand gars » nourrit ses chiens, avant de partir pour la chasse aux blaireaux. Il les revendra cher à des organisateurs de combats illégaux. Deux hommes dans la nuit, telle la lutte du bien contre le mal, de la vie contre la mort.

Le romancier gallois Cynan Jones compose pour eux une magnifique tragédie rurale, où la violence est silencieuse et la douleur intense. Les odeurs jouent un rôle essentiel dans ce livre, qui semble d'abord chuchoter. L'odeur des bêtes en train de vêler. Le parfum de l'épouse de Daniel, morte trois semaines plus tôt, et qu'il respire sur un foulard retrouvé. L'odorat des chiens qui se bousculent en pénétrant dans les terriers... Les gestes professionnels des deux personnages, que tout oppose, forment un ballet aussi précis que poétique.

Tout en évitant la psychologie, Cynan Jones parvient à rendre l'émotion palpable : la stupéfaction du deuil, la solitude, la douleur de l'absence. Dans cette campagne galloise ingrate, on perçoit avec Daniel le bruit de la pluie sur la tôle ondulée, le vent qui s'infiltre, la danse des corneilles comme un murmure paisible et triste — en contrepoint, il y aura la brutalité perverse du braconnier, lançant le blaireau dans la fosse face aux chiens, sous les hurlements du public. Apparemment simple, ce roman est bouleversant. Dépouillé d'artifices, il dit la sauvagerie des hommes qui n'ont plus rien. — Christine Ferniot

 

The Dig, traduit de l'anglais (pays de Galles) par Mona de Pracontal, éd. Joelle Losfeld, 168 p., 16,50 €.


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2017-05-17 00:00:00

La Promesse

Peu d'écrits (deux recueils de nouvelles, une pièce de théâtre, un polar, quelques poèmes) ont été publiés de cette amie argentine de Borges, disparue en 1993, à l'âge de 90 ans, et qui avait pris l'engagement auprès de sainte Rita, pour la remercier de services rendus, d'écrire un roman en moins d'un an. Le délai ne fut pas tenu, et cette Promesse a connu des années de sommeil et de transformation, pour finalement nous parvenir aujourd'hui dans une version probablement achevée dans les tout derniers instants de sa vie et retrouvée parmi ses papiers, après sa mort.

La narratrice est justement une femme à l'agonie, tombée à la mer alors qu'elle cherchait à repêcher une broche qu'elle y avait malencontreusement lâchée. Au lieu de revoir son existence en accéléré, ce qui serait une acceptation de sa fin proche, l'héroïne préfère sommer ses souvenirs de restituer en détail toutes les informations physiques et morales possibles sur les êtres humains qu'elle a croisés depuis sa naissance.

Le livre est donc constitué de micro­portraits livrés au gré d'un fouillis mental aussi cocasse que désespéré. « Tout ce qu'on attend avec trop d'impatience se passe mal ou ne se passe pas du tout », précise Silvina Ocampo, exprimant avec pudeur et mordant la beauté atroce de cette noyade. Les personnages qui déambulent dans sa mémoire n'occupaient pas forcément la première place dans sa vie ; ce sont des loupiotes qui clignotent dans son récit pour mettre en lumière une réalité que l'auteure plaçait haut dans sa conscience : nous sommes des êtres de passage. Parfois tranchante, parfois brouillonne — au point d'écrire deux fois, à cinquante pages d'intervalle, cette phrase certes magnifique : « Le seul avantage d'être un enfant, c'est de disposer d'un temps à double largeur, comme les tissus d'ameublement » —, Silvina Ocampo captive par son exigence indéfectible d'honnêteté. — Marine Landrot

 

La Promesa, traduit de l'espagnol (Argentine) par Anne Picard, éditions des femmes-Antoinette Fouque, 134 p., 13 €.


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2017-05-17 00:00:00

L'âme des horloges

Quel maelström ! Quels abîmes et vertiges, quels mystères et fascinantes obscurités... On sort sonné de cette invraisemblable Ame des horloges qui fait valser en quelque brûlantes huit cents pages l'ici et l'au-delà, l'éternité et l'instant, les morts et les vivants, l'hier et le futur. Un futur à demi détruit, avouons-le, par les abominables catastrophes naturelles qu'auront causées sur la planète la conduite irresponsable des hommes, leur mépris de la nature, leur volonté de puissance. Fable écologique, politique ? Récit de science-fiction ? Fresque familiale de 1984... à 2043 ? Le Britannique David Mitchell, 48 ans, brasse les styles à travers une écriture si détaillée, si visuelle qu'on pourrait se croire, encore, dans une de ces séries télé multiformes et cinglées dont on raffole. Ici, c'est le réalisme qui démultiplie l'imaginaire. L'histoire commence avec l'adolescence tumultueuse d'une gamine amoureuse et effrontée, et bizarre, Holly Sikes. Depuis des années, cette fille de patrons de bar d'ascendance irlandaise entend des voix, est catapultée mentalement dans des mondes où elle côtoie des femmes étranges... Holly a des dons paranormaux, c'est sûr. Mais pour quoi en faire ? Elle ne sait pas. En souffre. Un médecin la guérit. Mais voilà qu'après un désespoir sentimental Holly fugue, et tout se détraque à nouveau. Son jeune frère disparaît.

Chaque décennie des soixante années qui abrite l'histoire est vue et vécue par un personnage différent. Et les histoires s'emboîtent comme dans Cartographie des nuages, autre saga fantastique du même brillant romancier. Il ne s'agit au fond que de l'éternelle quête de l'immortalité. Ici, entre Anachorètes (les méchants) et Horlogers (les gentils), dont la lutte hyper technique autour de l'icône du « cathare aveugle » et au royaume du Vêpre restera un poil énigmatique aux non-initiés... On prend pourtant un compulsif plaisir au gré des multiples incarnations-désincarnations, apparitions-disparitions d'une galerie de personnages qui vont du reporter de guerre en Irak au sage chinois du XIIe siècle. Car comme le dit à la fin l'increvable Holly, qui aura massacré tous ses cancers : « Pour qu'un voyage commence, il faut qu'un autre se termine. » — Fabienne Pascaud

 

The Bone Clocks, traduit de l'anglais par Manuel Berri, éd. de l'Olivier, 782 p., 25 €.


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L'âme des horloges


2017-05-17 00:00:00