Livres classiques

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Une soeur

L'été en Bretagne. Antoine, 13 ans, et son petit frère passent les grandes vacances dans la maison familiale. Au programme : chasse aux crabes, Pokémon et châteaux de sable. Mais l'arrivée impromptue d'Hélène, 16 ans, la fille d'une amie de la famille, va modifier la feuille de route. Trouble, désir et confusion s'imposent bientôt entre les deux adolescents... Une soeur ne célèbre pas « le vert paradis des amours enfantines » cher à Baudelaire. Les relations entre ces enfants du siècle, des réseaux sociaux et des vidéos salaces sur Internet, n'ont rien de platoniques, mais sont encore empreintes d'une certaine innocence. Initiatrice, complice, confidente, protectrice, Hélène est moins une amante qu'une grande soeur, une étoile, un astre dont l'attraction détache doucement Antoine de l'enfance.

Après Polina, qui décrivait l'apprentissage d'une danseuse, et la saga néo-manga Last Man, avec ses compères Balak et Sanlaville, Bastien Vivès retourne ici à ses premières amours, les histoires intimistes. A petites touches, en mettant l'accent sur la mise en scène et les cadrages, le dessinateur suit au plus près ses personnages principaux et leurs états d'âme en montagnes russes. Rien ne lui échappe, les regards en coin, le geste gauche, la posture mal assurée, l'instant si fugace où tombe le masque. Seuls comptent Hélène et Antoine — les autres : petit frère, copains, parents font de la figuration. Soucieux de tendre son récit, d'en accélérer la lecture, Vivès épure toujours plus son trait. Les décors sont simplifiés à l'extrême, les nez, les yeux souvent gommés pour ne garder que l'idée d'un visage. Rien ne heurte ou ne capte trop longtemps le regard, si bien qu'on a l'impression d'être devant une sorte de film dessiné, un story-board ultra léché. Vivès aurait-il inventé un nouveau genre : le roman (cinémato)graphique ? — Stéphane Jarno

 

Ed. Casterman, 216 p., 20 €.


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Une soeur


2017-05-17 00:00:00

Une allure folle

Poursuivant l'écriture de son roman familial, entamé en 2004 avec Ça ne se fait pas - un récit centré sur le geste meurtrier de sa mère qui, vingt ans auparavant, avait assassiné son époux volage, avant de se donner la mort -, Isabelle Spaak approfondit, dans Une allure folle, l'investigation engagée dans l'intimité disloquée de sa famille. Traquant les mensonges pudiques et les omissions hypocrites sur lesquels s'est construite la mémoire collective des siens, Isabelle Spaak en restitue le fil, reconstituant le destin de sa grand-mère, la fantasque Mathilde, de sa mère surtout, la secrète, apparemment vulnérable et pourtant si audacieuse Anny. Ce qui frappe et bouleverse, au-delà de l'intelligence et de la finesse de l'écrivain, c'est la qualité exceptionnelle de son écriture, toute de précision, de justesse, d'âpre délicatesse. — Na.C.

 

Ed. Le livre de poche, 220 p., 7,10 €.


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Une allure folle


2017-05-17 00:00:00

Oeuvres Tome I

Satané accent aigu. Toujours à se coller sur le premier « e » de Perec, comme le cil sur sa joue, comme la cicatrice sur sa lèvre, comme le cheveu sur sa soupe. A l'origine, aucun vermicelle graphique ne trônait sur son patronyme polonais. Il est apparu pour la première fois sur le certificat de baptême qu'on lui a délivré enfant, pendant la guerre, pour effacer sa judéité, après la mort au champ d'honneur de son père légionnaire et le départ sans retour de sa mère vers les camps d'Auschwitz. Pérec, ça ressemble à béret, ça sonne un peu breton, cela semble parfait à l'époque pour camoufler des origines étrangères, juives de surcroît.

Mais l'accent ne parvient pas à tenir en place. Il glisse dans les coulisses, se perd dans les manches de « l'Histoire avec sa grande hache », comme dira son propriétaire récalcitrant. Devenu écrivain, Georges Perec (1936-1982) le fera disparaître à jamais. Pour être sûr que l'accent ne ressurgisse pas, il le privera de son support, en écrivant un livre de plus de trois cents pages dépourvu de la voyelle « e », qu'il titrera La Disparition (1969). Un livre sans « e », un livre sans « eux », ces parents qui n'ont jamais pu le voir grandir. Plus tard, il dédiera son autobiographie, W ou le Souvenir d'enfance (1975), à un E majuscule, interdisant tout accent. Pour E. Pour eux. Un livre où Perec exprime « le scandale de leur silence et de mon silence », une confession coupée en son milieu par une page blanche où l'indicible et l'inconcevable sont ­représentés par trois points de suspension entre deux parenthèses.

Si on retire le « e » de Perec, on se retrouve avec trois consonnes qui se prononcent per que. C'est-à-dire « Pourquoi », avec un grand P : pourquoi la Shoah l'a-t-elle fait grandir avec le rêve impossible d'aider sa mère à débarrasser la table le soir ? La question silencieuse donnera à la vie de Perec la forme d'un grand point d'interrogation. Un signe de ponctuation qu'il ira jusqu'à incarner physiquement, avec cette impossible barbe en boule et ces cheveux implantés en auréole indisciplinable.

Cette fantaisie capillaire est aussi méphistophélique, tout du moins malicieuse. Elle donne à Perec des airs de diablotin moqueur, c'est le costume de l'emploi qu'il a vocation d'exercer sans discontinuer. Une lumière farceuse brille dans son oeil sur toutes ses photos, y compris les plus anciennes, aussi loin qu'il puisse remonter. Comme une politesse hallucinée, la tentation potache le maintient debout. Elle prend mille formes, des plus légères aux plus absconses, des plus exubérantes aux plus intérieures, et fait de son oeuvre un jeu de piste aussi immense que déroutant. Qu'un copain de lycée s'amuse à interrompre toutes ses conversations avec cette question saugrenue « Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? », et voilà le gimmick recyclé en titre de livre (1966), où un gusse, au nom tellement imprononçable qu'il change plusieurs fois par page, n'a pas très envie d'aller faire la guerre d'Algérie. Cette même guerre dont Perec put être dispensé, grâce à la « mort pour la France » de ses parents. On pose au héros des questions « à brûle-tourcoing », il précise que la femme de son copain qui habite à Pau n'est pas écuyère, et son cas d'éventuel déserteur est entre les mains de pas moins de onze « psycholonels ». Cet exercice de style désopilant, qui commence par « C'était un mec », comme pour annoncer Coluche, reste le plus abordable des textes de Perec.

Il y a aussi ses listes (des aliments ­ingurgités pendant l'année 1976 dans Action poétique, des flashs qui illuminent sa mémoire dans Je me souviens, des éléments meublant les appartements d'un immeuble entier dans La Vie mode d'emploi). Et ses mots croisés, avec des définitions à se chatouiller le crâne pendant des heures à coups de râteau digital. Ne saurait servir à un chômeur, sauf s'il est dans ses petits souliers ?... Embauchoir. Surtout craint de certains derviches ?... Empêcheur. Comme par hasard, les meil­leures trouvailles commencent par E. Tout comme Perec multiplie les énoncés de quarante-trois lettres ou de onze signes, en souvenir de la disparition de sa mère, le 11 février 1943.

Georges qui rit sous cape, Georges qui pleure sous masque. L'oeuvre entière de Perec est un miroir à double face que le lecteur doit faire claquer sans cesse pour atteindre la vérité. Gratter le vernis du jeu oulipien, effacer la buée de la pudeur : la tâche est grande, mais tellement plaisante, tellement payante.

Avant d'être emporté par un cancer du poumon en 1982, Perec a publié un poème intitulé « L'Eternité ». Avec un grand E. L'écrivain semble bien installé dans cette espèce d'espace éternel. Rares sont les figures littéraires du XXe siècle qui ont connu une telle postérité dès leur mort. Depuis trente-cinq ans, Perec est pillé, fouillé, statufié. Le héros de son livre Mais quel petit vélo... exhibe fièrement « ses soixante-quinze centimètres de Pléiades » dans sa mansarde aménagée. Voilà donc Perec édité dans ce qu'il nommait en riant « la bibliothèque de l'homme cultivé ». Clin d'oeil posthume d'un joueur invétéré qui aurait peut-être appelé cela la perequation, sans accent. — Marine Landrot

 

Ed. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Tome I : 1 184 p., 61, 50 € ; Tome II : 1 280 p., 56 €, 110 € sous coffret.

 

Le bel Album Georges Perec (no 56), signé Claude Burgelin, est offert en librairie à l'occasion de la Quinzaine de la Pléiade, pour l'achat de trois volumes de la collection.


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Oeuvres Tome I


2017-05-10 00:00:00

Starve

La gastronomie sur le gril. Chef virtuose, légende des fourneaux et des petits écrans, Gavin Cruikshank a, depuis des années, remisé sa toque et ses étoiles au placard. Caractériel, toxicomane et totalement parano, l'homme vit aux tréfonds de l'Asie lorsque les producteurs de l'émission phare qu'il a créée viennent le chercher. Starve est une sorte d'Apocalypse now à l'envers, comme si le colonel Kurtz, incarné à l'écran par Marlon Brando, quittait soudain sa jungle pour aller solder quelques vieux comptes en ville... Critique saignante de la surmédiatisation de la gastronomie, des grands raouts télévisuels, où la vérité de l'assiette pèse si peu face à l'audimat, Starve entonne un refrain bien connu des fines gueules. Mais l'album de Brian Wood va plus loin. Il souligne la dérive obscène d'un art devenu un marqueur social, une façon de s'épater entre riches amis, quel qu'en soit le prix pour les ressources et l'environnement. Et peu importent les pauvres et les sans-dents, tant qu'ils ont du pain et des jeux...

Efficace, haletant, Starve est tout ­autant un « comic » brillant qu'une critique sociale d'une rare virulence, qui fait écho aux réflexions de certains chefs « en rupture », comme Gilles Stassart. Déjà remarqué pour quelques épisodes de la série Northlanders (Urban Comics), le dessin de Danijel Zezelj fait ici merveille. Maître des noirs et des encrages, le dessinateur croate aime les visages longs, anguleux ou grotesques. Ses personnages évoquent tant les gravures expressionnistes allemandes que les dessins charbonneux de Burne Hogarth, le génial dessinateur des premiers Tarzan. Un mets graphique à ­déguster à chaud. — Stéphane Jarno

 

Ed. Urban Comics, 256 p., 22,50 €.


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Starve


2017-05-10 00:00:00

Écrire pour sauver une vie. Le Dossier Louis Till

« Vers la fin de l'été 1955, je vis dans la revue Jet l'effrayante photo d'un garçon mort presque exactement du même âge que moi, un gamin noir assassiné à Money, dans le Mississippi, dont le visage mutilé avait l'air d'un insecte que quelqu'un aurait écrasé d'un doigt », se souvient John Edgar Wideman dans Ecrire pour sauver une vie. Ce garçon de 14 ans, massacré pour avoir sifflé au passage d'une femme blanche, s'appelait Emmett Till. Ses deux assassins furent acquittés par un jury composé de douze hommes blancs. Le supplice de l'adolescent et l'absolution accordée à ses bourreaux participèrent au déclenchement du Mouvement des droits civiques. A Emmett Till, Dylan a consacré jadis une chanson et sur lui, John Edgar Wideman voulait écrire un roman.

Ce projet de fiction n'a pas abouti, mais un livre existe bel et bien désormais. Un ouvrage admirable, âpre, grave et lyrique. Un mémorial de papier où le jeune martyr gît aux côtés de son père, Louis Till, soldat de l'armée américaine débarqué en Italie en 1943, accusé de viol, enfermé (dans la même prison qu'Ezra Pound, qui cite son nom dans les Cantos), condamné, exécuté, enterré dans un cimetière de l'Oise. Mêlant la tentative de reconstitution des faits historiques au récit d'un voyage qu'il fait en France, l'écrivain convoque aussi sa propre enfance, les figures de ses parents, de son grand-père. Son frère et son fils également, inéluctablement — l'un et l'autre condamnés pour meurtre, et dont les destins brisés hantent tous les livres de Wideman. « Je travaille pour un fils et un frère incarcérés. Ils sont enfermés à l'intérieur de moi, je suis emprisonné avec eux [...]. Pas le choix », écrit-il simplement dans ce récit inoubliable qui s'offre à lire comme le prolongement de la pénétrante méditation sur la condition des Noirs américains que constitue toute son oeuvre. — Nathalie Crom

 

Writing to save a life, The Louis Till file, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Catherine Richard-Mas, éd. Gallimard, 226 p., 20 €.


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2017-05-10 00:00:00

Quand sort la recluse

D'abord il y a le titre, emmitonné de brume, construit sur un mot aux accents surannés : Quand sort la recluse. A quoi renvoie-t-elle précisément, cette recluse ?, s'interroge le lecteur, qui se lance dans le roman comme on s'aventure au coeur de la forêt. Il devra attendre, embarqué en manière d'amuse-bouche sur une fausse piste, une histoire de femme, de mari et d'amant que le fameux commissaire Adamsberg, favori de l'auteure, résoudra façon Sherlock'n'roll. Mais revenons à la recluse, maître mot du livre. Car ce sont les mots qui font le charme des romans de Fred Vargas. Une façon de les déguster comme des friandises, de les déshabiller lentement, de les sortir de leurs tanières, parfois très anciennes, de les mettre à la question, de les répéter, de les convoquer à contre-emploi. Ainsi d'étoc, que l'auteure prend soin de définir, « ces rochers ­immergés sur lesquels s'éventrent les ­bateaux », avant de le faire rejaillir, quelques pages plus loin, dans le contexte totalement décalé d'un remue-­méninges policier : « Et donc nous butons là sur un étoc particulièrement vicieux. » Ainsi de blaps, gros coléoptère ventru, « nommé le puant, l'annonce mort », sorti de son contexte lexical plutôt technique pour devenir tout au long du roman nom commun empreint de poésie noire, les blaps ­désignant une bande immonde de ­violeurs en série.

Et la recluse, vous demandez-vous, de plus en plus impatient ? Elle est au coeur du mystère et de la légende qui donnent au texte ses allures de conte. Il était donc une fois Loxosceles rufescens, une araignée farouche et, semble-t-il, dangereuse puisque quand commence l'histoire trois vieillards sont morts après avoir goûté de son venin. Mais « recluse » ne peut-il pas être entendu dans un autre sens ? Chez Vargas, attention, ce sont les mots, les idées et les images qui y sont associées qui mènent la danse, font avancer l'enquête et le ­récit, au fur et à mesure qu'on les décortique, au fil d'une logique ondoyante dont Adamsberg est familier. Ses mots sont des friandises, disions-nous, et son nouveau roman, un pur délice ! — Michel Abescat

 

Ed. Flammarion, 480 p., 21 €.


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2017-05-10 00:00:00

L'Humiliation, le Moyen Âge et nous

Passionnant conteur, le philologue ­Michel Zink accompagne depuis des années son lecteur sur les routes littéraires du Moyen Age. De la Sorbonne au Collège de France (mais aussi sur France Inter), il a décrypté la pastourelle, le Roman de la Rose et le thème du Graal sans nulle pédanterie, et à 72 ans, il continue de cheminer de récit en poème, tirant des fils entre passé et présent. En abordant l'humiliation, cet explorateur éclaire le sens d'un mot dont la seule pensée nous révulse : « Elle est insupportable, mais elle est partout, de la petite humiliation sournoise, presque indécelable, que chacun, au fil des jours, subit et inflige tour à tour, à celle qui, érigée en instrument de pouvoir ou de torture, frappe des populations entières. » La civilisation médiévale est celle de l'honneur, qui déteste l'humiliation, mais sa religion est celle de l'humilité. Deux termes proches et contradictoires qui continuent de déchirer une société contemporaine qui n'est pas à une contradiction près.

Aller gratter les racines de ce mot, de ce mal, tel est l'objectif du nouveau livre de Michel Zink. L'honneur et la honte sont des expressions, des cultures et des sentiments cousins que le narrateur décrypte en compagnie du chevalier Lancelot, de la reine Guenièvre, après un développement théologique essentiel. Mais, de cet essai instructif, ce sont les représentations littéraires qu'on retiendra surtout : la tonsure et le calvaire du Fou, la maltraitance du pauvre et du vieillard, l'exclusion du chevalier amoureux... « L'humiliation est un art littéraire », conclut Michel Zink. Qui, s'il se plaît à plonger dans la mémoire médiévale, jamais n'exclut le présent de ses pensées. — Christine Ferniot

 

Ed. Albin Michel, 270 p., 20 €.


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2017-05-10 00:00:00

Un fantôme dans la bibliothèque

Ce fantôme-là a une matière. On peut même le tenir dans sa main... Ce fantôme-là désigne une fiche, ou une planchette, qui vient matérialiser l'absence d'un livre sorti de son rayon de bibliothèque : « Quand j'ai commencé à fréquenter les bibliothèques, j'ai découvert le "traumatisme" que peut occasionner un livre mal classé, ou quand, lors d'un emprunt, le fantôme manque », raconte Maurice Olender, soulignant ainsi son goût pour les couples de contraires : l'ordre et le désordre, la présence et l'absence, mais aussi l'érudition et la fiction, les mythes et les sciences, le poétique et le politique. Des pôles pour lui fondateurs et qui traversent ce très intime recueil de textes, fidèle à ce ­credo exposé dans l'un d'eux, Matériau du rêve : « Mieux vaut encourager l'intensité de la curiosité savante tous azimuts plutôt que des savoirs trop hiérarchisés. Et assumer ce qui pourrait apparaître comme un joyeux désordre créatif. »

Historien, philologue de formation, spécialiste de l'origine des langues (Les Langues du Paradis) et de la question de la race (Race sans histoire), Maurice Olender est aussi l'éditeur hors pair de la collection interdisciplinaire, La librairie du XXIe siècle, créée en 1989 en hommage à la « librairie » — c'est-à-dire la bibliothèque de Montaigne... — et qui a accueilli dans ses rangs des auteurs aussi différents que Georges Perec, Jean Starobinski, Yves Bonnefoy, Arlette Farge, Lydia Flem ou Ivan Jablonka. Nourris de tous ces compagnonnages, les textes ici colligés sont autant d'archives personnelles, de rêves et de récits — sur son enfance dans une famille juive analphabète ou son passé de cliveur de diamants... Un « jeu de piste »« la mémoire et l'oubli jouent à cache-cache », pour reprendre une phrase-clé glanée dans L'Inassimilable, un texte de 1985, écrit pour un colloque intitulé « Les Juifs entre la mémoire et l'oubli ». « J'ai dû me construire en restituant à la réalité historique des formes d'absence, en recomposant des alphabets envolés, incendiés lors d'innombrables autodafés », confie Maurice Olender. Un livre-fantôme. En suspension. — Juliette Cerf

 

Ed. Seuil, coll. La librairie du XXIe siècle, 224 p., 17 €.


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2017-05-10 00:00:00

Un été avec Machiavel

Flaubert notait dans son Dictionnaire des idées reçues : « Machiavel. Ne pas l'avoir lu, mais le regarder comme un scélérat. » Pour arracher Machiavel (1469-1527), esprit « captivant » de la Renaissance, aux griffes du machiavélisme, rien de tel que la compagnie du médiéviste Patrick Boucheron, professeur au Collège de France. Reprise d'une série estivale diffusée en 2016 sur France Inter, Un été avec Machiavel montre combien l'auteur du Prince, secrétaire de la chancellerie de Florence, sut « aiguiser au feu de l'action le stylet d'une langue politique », en observant la « mécanique des passions humaines ». Pour aller, comme il le disait, à « la vérité effective de la chose » plutôt qu'à « l'image qu'on en a »... Machiavel ou le « maître désenchanteur ». — J.Ce.

 

Coéd. des Equateurs/France Inter, 152 p., 13 €.


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2017-05-10 00:00:00

Les Jours enfuisJay McInerney

Il arrive que se noue, entre le romancier et son personnage, un lien singulier. Que s'impose une complicité qui défie l'analyse et l'explication. A propos de Harry Angstrom, alias Rabbit, qu'il a convoqué quatre fois en vingt ans, faisant reposer sur ses épaules tout sauf héroïques une tétralogie (Coeur de lièvre, Rabbit rattrapé, Rabbit est riche, Rabbit en paix) qui est sans doute le sommet de son oeuvre, John Updike constatait simplement : « Lors­qu'il s'agissait de lui, j'avais des tas de choses à dire, des tas de choses à dé­crire [...], que je n'aurais pas pu exprimer avec un autre. » Parce que c'était moi, parce que c'était lui... Le lien qui unit Jay McInerney à Russell et Corrine Calloway est sans doute de cet ordre.

C'est en 1992, lorsqu'il a publié Trente Ans et des poussières (1,) traduit en France un an plus tard, que l'on a fait la connaissance de ce couple vibrionnant, plus charmeur qu'arrogant, ambitieux qu'arriviste, elle courtière en Bourse, lui éditeur débutant, confrontés à une première crise conjugale dans le décor fébrile du New York des années 1980. Une métropole aux désirs incertains, certes déjà en partie conquise par l'argent-roi et ses thuriféraires mais encore semi-sauvage, rétive à l'embourgeoisement — un biotope captivant que Jay McInerney avait exploré déjà dans son tout premier roman, l'à jamais éblouissant Bright Lights, big city (1984). Russell et Corrine Calloway étaient réapparus il y a une dizaine d'années : dans La Belle Vie, on découvrait un couple assurément entré dans le rang — deux enfants, un loft dans le quartier en vogue de Tribeca, des amis leur ressemblant, intellos ou artistes dans l'âme, financièrement plutôt bien lotis. Une routine bourgeoise, avec ce qu'il faut de possible transgression pour que soit préservée l'illusion bohème. Et tout ce bel équilibre soudain ébranlé par la déflagration du 11 septembre 2001...

Ainsi Corrine et Russell Calloway se sont-ils installés, par l'entremise élégante et sensible de Jay McInerney, dans nos vies de lecteurs. Personnages attachants à travers lesquels prendre, à intervalles plus ou moins réguliers, le pouls de la métropole new-yorkaise, de ses états d'âme. Personnages complexes, tiraillés par des contradictions et des désirs antithétiques, lestés toujours davantage au fil des ans de renon­cements et de défaites, par lesquels Jay McInerney poursuit, à sa façon et de plain-pied dans son temps, l'examen de cet immense et immuable motif romanesque qu'est le mariage — semblant s'inscrire délibérément dans le sillon du roman du xixe siècle et de Flaubert lorsque, dans le présent Les Jours enfuis, il écrit ce dialogue, lancé par Corrine :

« Mais quand un couple bat de l'aile, c'est rarement de la faute d'un seul.

— Je ne suis pas sûr d'être d'accord avec toi, protesta Russell. Je n'irai pas jusqu'à accuser Charles Bovary de la conduite de sa femme.

— Et pourquoi pas ? C'était tout de même un pitoyable crétin. »

Dans ces Jours enfuis, Corrine et Russell abordent la cinquantaine — nous sommes en 2006 quand s'ouvre le roman, qui se refermera dix-huit mois plus tard, au lendemain du chaud-froid émotionnel collectif que constituent la faillite financière de 2008 et l'élection de Barack Obama. Les affaires de Russell Calloway, éditeur littéraire indépendant et respecté, virent bientôt au désastre, tandis que Corrine, devenue scénariste, et toujours impliquée dans des actions caritatives, renoue avec un ancien amant — Luke, celui-là même qu'elle avait rencontré, dans La Belle Vie, au matin du 12 septembre 2001, au pied des tours mortes du World Trade Center, et pour lequel elle avait mis déjà en question son union avec Russell.

S'attachant à installer autour du couple en crise une prenante galerie de personnages secondaires, ressus­citant dans les pensées de Russell et Corrine les fantômes du passé qui les accompagnent au présent, Jay McIner-ney fait une nouvelle fois merveille dans le rôle délicat — et plus mélancolique que jamais — du scrutateur des choses humaines en ce qu'elles ont de plus intime, de plus évanescent, de plus instable, de plus insaisissable et précieux. Centrant son observation sur le couple, avec une égale empathie pour l'un et l'autre — Corrine et son indécision, Russell aux certitudes ébranlées —, sondant de l'intérieur l'énigme du lien conjugal, le mettant à l'épreuve pour en éprouver les faiblesses, mais aussi dans l'espoir de déclencher ses capacités de résistance, sa nostalgie de la stabilité — son élan sans cesse contrarié vers l'éternité. — Nathalie Crom

(1) Trente Ans et des poussières et Bright Lights, big city (Journal d'un oiseau de nuit) viennent d'être réédités en poche chez Points, où on trouve aussi La Belle Vie, Glamour Attitude et Le Dernier des Savage, ainsi que les recueils de nouvelles Moi tout craché et La Fin de tout.

Bright, Precious Days, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marc Amfreville, éd. de l'Olivier, 494 p., 22,50 €.


Extrait

 

 

Russell remplit les verres de vin et goûta sa sauce bolognaise, qui manquait de sel. Un repas simple, ce soir : salade et spaghettis avec un choix de deux sauces, bolognaise et marinara, la seconde pour les adolescentes, toutes deux végétariennes - mais Storey mangeait si peu ces derniers temps que ce n'était pas évident de se rendre compte qu'elle l'était. Depuis la séparation de ses parents, elle semblait avoir soudain adopté l'attitude légèrement hostile de sa mère envers la nourriture.

 

 

« Ils viennent d'annoncer que McCain a remporté le Kentucky, dit Washington en consultant son BlackBerry.

-- La Pennsylvanie sera décisive. »

[...]

Mingus avait les yeux rivés sur son téléphone. « Obama vient de remporter la Pennsylvanie.

-- C'est énorme !, s'exclama Russell.

-- Alors, on gagne ?

-- Il y a de grandes chances que oui, maintenant.

-- J'espère que tu as mis notre bouteille de dom pérignon au frais », dit Veronica.


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Les Jours enfuisJay McInerney


2017-05-10 00:00:00