Livres classiques

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Isadora

Le temps ne rend pas justice aux interprètes. Rares sont les comédiens, chanteurs ou ballerines dont le souvenir persiste longtemps après leur mort. Isadora Duncan fait partie des exceptions. Disparue en 1927, à l'âge de 50 ans, la danseuse américaine n'est jamais tombée dans l'oubli. Biographies, films, spectacles rendent périodiquement hommage à celle qui révolutionna les canons de la danse classique et dont les frasques alimentèrent durablement les chroniques. Mystique, non conformiste, inspirée par la Grèce antique, privilégiant l'improvisation et les tenues (très) légères, la jeune femme se produisit sur les plus grandes scènes d'Europe, devant des foules électrisées par tant de sensualité et d'audace. Adulée, courtisée, détestée, la belle Isadora, qui fréquenta évidemment le gotha ­artistique de son époque, est un cadeau piégé pour les biographes. Trop de tout. Inextricable écheveau de faits, d'anecdotes, de témoignages, d'allégations et de légendes, le récit de sa vie suffirait à remplir plusieurs tomes !

Plutôt que décrire ce tourbillon, ­Julie Birmant et Clément Oubrerie ont préféré en restituer le souffle. A petites touches, en s'appuyant sur quelques épisodes clés, comme son passage dans l'atelier de Rodin, au festival de Bayreuth ou sa « retraite » en famille sur les pentes de l'Acropole, les auteurs de Pablo composent un portrait délicat et elliptique. Léger comme les étoffes qu'elle aimait à porter. Leur Isadora apparaît comme une jeune femme toute simple et étonnamment moderne, un être mû uniquement par ses désirs et son instinct, sans calcul ni mystère. Agréablement construit, ce récit, qui peut se lire comme le pendant d'Il était une fois dans l'Est (2015), brille surtout par la qualité de son dessin. Inspiré, précis sans être jamais photographique, jouant sur les formats et les à-plats de couleurs, Oubrerie aime plus que jamais surprendre. — Stéphane Jarno

 

Ed. Dargaud. 140 p., 22,90 €.


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Isadora


2017-06-07 00:00:00

La France en automobile

« L'automobile a restauré le romantisme du voyage », écrit Edith Wharton (1862-1937) au moment de partir de Boulogne en direction d'Amiens. La romancière américaine à l'âme voyageuse, qui aime les périples en Panhard Levassor, se réjouit d'avance de pouvoir « prendre une ville à l'improviste » sans avoir d'horaires à respecter. En 1906 et 1907, voici donc notre aventurière, accompagnée de son frère, de son mari, de son ami l'écrivain Henry James et du chauffeur Cook, caracolant sur les routes françaises. « Villages riants » des bords de Seine, « méandres capricieux » des vallées d'Auvergne, tramontane déferlante sur la Haute-Garonne : Edith Wharton s'émerveille, s'étonne, commente et ponctue son itinéraire de références à George Sand ou madame de Sévigné. L'Américaine amoureuse de la France y reviendra encore, quelques années plus tard - mais cette fois plus au nord, dans des régions dévastées par la guerre. — G.H.

 

3T La France en automobile, d'Edith Wharton, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean Pavans, préface de Julian Barnes, éd. Gallimard, Folio, 222 p., 7,20 €.


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La France en automobile


2017-05-31 00:00:00

A boire et à manger

A boire et à manger, tome 4. Fruit des longues tribulations gastronomiques de Guillaume Long, publié sur le blog du Monde, « Abam » est devenu depuis huit ans un vrai phénomène éditorial. Réunies en recueils, ces courtes histoires où le dessinateur se met en scène pour narrer ses expériences en cuisine, et livrer dans la foulée conseils et recettes, font partie des rares albums qui se prêtent, se partagent et s'offrent entre copains. Dans le flot des BD qui cherchent depuis quelques années à surfer sur l'engouement provoqué par Top chef et autres émissions de télé-réalité, ce succès est d'autant plus remarquable que Long suit depuis toujours sa propre petite musique. Un mélange habile et savoureux d'autofiction et de gastronomie « pour les nuls », et surtout d'humour. Du burlesque au pince-sans-rire, en passant par l'absurde, le tout jeune quadra ne lésine pas sur cette épice délicate et la manie avec talent.

Pour ne pas s'enfermer dans une formule, il a cette fois eu l'idée de s'associer à Sonia Ezgulian. Ex-journaliste, cette cuisinière atypique, qui adore les grandes tablées et déteste gâcher, entraîne le (faux) néophyte dans un parcours gourmand et intime. Au programme, l'Arménie de ses ancêtres, l'Italie, patrie de sa famille de coeur, et particulièrement la baie de Naples. Un mille-feuille d'anecdotes, de rencontres et de portraits, où les univers pourtant si différents des deux compères s'épousent avec croquant et tendresse. Conteur et dialoguiste hors pair, Long révèle enfin sur quelques planches « napolitaines » dignes d'un Arcimboldo sous acide ses talents d'illustrateur et de coloriste. Miam miam ! — Stéphane Jarno

 

Ed. Gallimard, 120 p., 22,50 €.


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2017-05-31 00:00:00

L'Éclat de rire du barbare

Le motel La Colombe bleue offre tout le confort moderne et les résidents ­espèrent légitimement y passer un ­séjour agréable. Sauf que des évé­nements inattendus perturbent la sérénité de la petite tribu qui commençait à faire connaissance. Les coussins, les draps, les serviettes sentent soudainement l'urine, et tous se demandent qui est le responsable d'un ­attentat aussi singulier qui gâche les vacances. La prudence s'installe et, du jour au lendemain, les clients ­s'observent, se soupçonnent, font des messes basses, guettent le moindre indice dans les comportements des uns et des autres. Dans ce lieu clos, les caractères se révèlent, les langues se délient et les affrontements se font jour, tel celui qui oppose Faruk, le ­mari jaloux, à tous les hommes qu'il accuse de regards indécents envers sa femme. Sema Kaygusuz, dans son premier roman intitulé La Chute des prières, publié par Actes Sud (2009), avait déjà installé un climat fantastique sur une île où les traditions et les légendes, les rumeurs et les jalousies venaient perturber la vie des hommes. Seule la nature, avec ses magnifiques champs de thym et ses animaux, n'obéissait qu'à ses propres lois.

Ici encore, la mer, la montagne, les palmiers ou l'oliveraie semblent les ­témoins silencieux et immuables de la gesticulation des hommes, tout à coup livrés à leurs manigances et ­règlements de comptes. Car tous, comme prisonniers d'une villégiature à laquelle ils n'osent pas renoncer au motif que les vacances sont sacrées, font surgir ce qu'ils gardaient au fond d'eux-mêmes. Malheur au mari qui aborde le thème de la sexualité féminine et qui se fait vertement remettre à sa place par sa femme beaucoup plus libérée que lui ! C'est encore à une sérieuse dispute que se livre un couple gay... Et, comme si les querelles intimes avaient ouvert les vannes, l'histoire de la Turquie, le regard de l'Occident, les génocides et les déplacements de population refont surface dans les échanges tendus. Sema Kaygusuz écrit avec un scalpel. Son écriture sait mettre au jour les sujets douloureux. — Gilles Heuré

 

Barbarin Kahkahasi, traduit du turc par Catherine Erikan, éd. Actes Sud, 220 p., 21,80 €.


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L'Éclat de rire du barbare


2017-05-31 00:00:00

Les Mandible

Si elle n'avait pas été écrivaine, Lionel Shriver aurait-elle été chirurgienne ? Ce n'est pas avec un stylo, c'est avec un scalpel qu'elle ausculte et fouille les blessures du rêve américain : la violence des enfants dans Il faut qu'on parle de Kevin (2003), la sécurité sociale impuissante dans Tout ça pour quoi (2010), l'obésité dans Big Brother (2014)... Les Mandible. Une famille, 2029-2047 nous plonge dans un proche avenir : en 2029, le président des Etats-Unis, premier Latino-Américain à ce poste, décide de dénoncer la dette américaine. Le dollar part en chute libre et le pays est déclaré en faillite. Pénuries, pillages, effondrement du système de santé : les Américains se découvrent citoyens du tiers-monde. Chez les Mandible, famille parfaitement intégrée (père riche industriel, tante romancière à succès, enfants professeurs d'université ou pyschothérapeutes...), personne n'est épargné. Et c'est Florence, la belle-fille qui a pu garder un modeste salaire d'assistante sociale, qui doit accueillir chez elle sa parentèle ruinée...

Beaucoup de lecteurs — dont l'auteur de ces lignes — se sentiront parfaitement incapables de juger de la vraisemblance du scénario proposé ici et expliqué au cours de (trop) longues discussions économiques. Pourtant, il est difficile de ne pas être glacé par le récit qui se met en place peu à peu. Lionel Shriver (née en 1957) fait partie de ces écrivains (avec Joanna Trollope, Anne Tyler...) qui se font un style de ne pas en avoir et préfèrent la vérité d'une expression à la beauté d'une phrase. Cette apparente neutralité cache une justesse d'analyse remarquable. Le roman déroule ainsi une suite de saynètes et de dialogues implacables, dénués tant d'apitoiement que de mélo. Tous les personnages sonnent juste, et on assiste à leurs empoignades en voyeur fasciné. Cette lente désagrégation des rapports humains, ce glissement vers l'abîme d'un pays auquel le confort est retiré font froid dans le dos. La dystopie, genre littéraire à la mode, a rarement été à la fois aussi lucide et aussi proche. — Hubert Prolongeau

 

The Mandibles. A family, 2029-2047, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Laurence Richard, éd. Belfond, 520 p., 22,50 €.


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Les Mandible


2017-05-31 00:00:00

Vingt minutes de silence

Retenez ce mot de passe : LNB7A9, Hélène Bessette à neuf. Il vous donnera l'accès à un cercle, encore trop confidentiel, de fervents admirateurs d'une institutrice reconvertie en femme de ménage, disparue en 2000 dans le dénuement le plus honteux, au bord de la démence, après avoir écrit treize romans majeurs, entre 1953 et 1973. De ces textes qui tombent toujours à pic quand on les ouvre, susceptibles de changer une vie, que ce soit celle de Marguerite Duras (« qui lui a tout piqué », osera son biographe Julien Doussinault), de Nathalie Sarraute, de Michel Leiris, la vôtre, la mienne. Depuis quelques années, les rééditions de ces chefs-d'oeuvre oubliés s'offrent en partage, grâce à l'initiative passionnée de l'éditrice Laure Limongi. Chaque fois sur la couverture, une même photo en noir et blanc, où Hélène Bessette, en chignon et tailleur stricts, jette un regard en coin vers le bas, l'oeil à la fois fuyant et fixe, la bouche aussi résignée que décidée. S'affiche et se dérobe une femme consciente de faire partie d'un monde à part, mais ancrée dans le sol et pleine d'énergie motrice. Sa ressemblance avec l'actrice Emma Thompson suscite même un espoir un peu fou : qu'un(e) cinéaste s'empare de ce destin hors normes, comme Martin Provost le fit avec Violette Leduc, incarnée par Emmanuelle Devos.

Visuellement, les écrits mêmes d'Hélène Bessette en jettent. Pleins de retours à la ligne, de colonnes de mots, d'incises en majuscules, ses « romans poétiques » (comme elle tenait à les appeler) dessinent des influx nerveux, des courants d'inquiétude, des éclairs de joie, des estafilades d'intelligence, des multiplications de minutes, des gouttes tombées de gouttières. Le livre qui arrive aujourd'hui nous exhorte à Vingt Minutes de silence, pas de trop pour honorer la mémoire de cette écorchée vive, et se préparer à plonger dans son gouffre linguistique. Il s'ouvre sur un hymne à la rétention des larmes : « Tu ne vas pas pleurer pour rien. Dans la rue. Dans les autres. Quand tu es dans les autres. Et que le jour baisse et que l'année baisse et que ce mois d'octobre échoue contre novembre dans une odeur de brouillard et de lumière clignotante. »

L'encrier d'Hélène Bessette débor-de de considérations pareilles, qui appellent le par-coeur pour servir de bouée de sauvetage le jour où. Car secourir est sa mission. Même quand elle s'essaie au roman policier, comme ici, elle donne sa chance à chacun, persuadée que personne ne détient jamais la vérité, sauf dans l'instantané des mots prononcés. Hélène Bessette écrit du bout de ses ailes d'ange gardienne, la plume posée sur l'épaule de son héros, un garçon de 15 ans qui a tué son père parce qu'il ne voulait plus de cette haine reçue depuis son premier souffle. Elle plaide le droit du garçon à choisir de passer le restant de son existence sans aimer, car « le calme et la tranquillité des vies sans amour sont un bonheur dont la lumière tempérée, dont l'éclat modéré, dont le demi-sourire, dont l'intimité bienveillante, dont le décor sans recherche vaut bien de remplacer l'usure, la dépense haineuse, la passion exacerbée des rancunes accumulées d'un amour légitime dont le dessein s'est brisé ». Hélène Bessette peut lui faire prendre ce risque de l'atrophie apparente des sentiments, puisque son écriture est un coeur qui bat à grand fracas pour deux, pour dix, pour cent. — Marine Landrot

 

Ed. Le Nouvel Attila, 176 p., 17 €.


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Vingt minutes de silence


2017-05-31 00:00:00

En attendant Bojangles

Roman événement du printemps 2016, couronné par le prix du Roman des étudiants France Culture-Télérama (mais aussi, entre autres, le grand prix RTL-Lire et le prix France Télévisions), En attendant Bojangles paraît en poche chez Folio. Signé Olivier Bourdeaut, un inconnu de 36 ans propulsé en quel­ques semaines auteur vedette par ce premier roman publié par la discrète et exigeante maison d'édition bordelaise Finitude, En attendant Bojangles est un conte fantasque et mélancolique qui a su charmer les libraires, enchanter la critique et emballer le public — il s'est vendu à plus de 300 000 exemplaires en grand format. Le jeune romancier y dépeint l'histoire d'une famille, d'un couple amoureux et extravagant qui s'emploie au quotidien à rendre chatoyante et féerique une réalité qui ne l'est pas toujours... — Nathalie Crom

 

Ed. Folio, 176 p., 6,60 €.


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En attendant Bojangles


2017-05-31 00:00:00

Florilège

« Annie Saumont n'était pas fragile, elle était inflexible », écrit si justement Josyane Savigneau, dans la préface admirative et émue qu'elle donne à ce Florilège de quarante-cinq nouvel­les, choisies parmi les centaines qu'a écrites l'auteure disparue le 31 janvier, à la veille de ses 90 ans. Obsédée par l'écriture, concentrée sur le texte court, Annie Saumont ne lâchait rien. Ni la minutie d'un dialogue, ni une ponctuation musicale comme suspendue, ni la description implacable d'un quotidien qui se prend à dérailler.

La nouvelle était sa distance idéale depuis ses débuts, lui permettant de pointer du doigt le basculement d'un sentiment, l'instant où tout se dévoile. Puis elle repartait à pas légers, laissant le lecteur pantois achever l'histoire, imaginer l'issue de la crise, une séparation ou pire encore. Cette narratrice des petites choses parvenait ainsi à raconter une vie en trois pages, visant toujours le coeur de la cible. L'air de rien, Annie Saumont décrivait aussi la société, la famille, les jeunes incompris, les vieux trébuchant. « Odeur aigre-douce de coussins râpés, de rideaux fanés. Même si tout est propre. Relents d'eau de Cologne, de sirop pectoral. Odeur de vieillesse... »

Les titres de ses recueils étaient tout un monde entrouvert : Les voilà quel bonheur, Moi les enfants j'aime pas tellement, Si on les tuait ? Quelquefois dans les cérémonies, C'est rien, ça va passer... On y dénichait, selon les histoires, un trait d'humour (noir), un regard panoramique, une affection particulière pour les éclopés. Et une modestie qu'Annie Saumont continue de payer aujourd'hui encore, même si elle reçut quelques prix littéraires, comme le Goncourt de la nouvelle. Que ce beau recueil la place enfin sur le devant de la scène, en pleine lumière. — Christine Ferniot

 

Ed. Julliard, 432 p., 21 €.


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Florilège


2017-05-24 00:00:00

La Maison des souvenirs et de l'oubli

L'homme a beau se boucher les oreilles avec les mains, rien n'y fait : le bruit obsédant d'un train ne cesse d'envahir sa tête. Il était encore enfant quand il a échappé de justesse à la déportation. Il est serbe, il est juif — et il s'interrogera sur ce qu'est être juif au regard des autres. Le train qui roule et dont le son l'obsède, c'est celui qui conduit aux camps de la mort, mais aussi celui de l'Histoire.

En 2004, lors d'un colloque qui réunit, à New York, d'anciens rescapés sur le thème « Crimes, réconciliation, oubli », des hommes se retrouvent et tentent de partager leurs souvenirs. Ceux qu'ils ont voulu oublier mais dont ils savent qu'ils ne doivent pas disparaître pour que l'on sache. L'intitulé du colloque suffit-il à résumer ce dont il fut question ? Pour l'un des participants, c'est au-delà des mots et des concepts qu'il faut chercher pour élucider l'Holocauste. La thèse sur la banalité du mal de Hannah Arendt ne convainc pas ceux qui en réchappèrent. Le mal fut d'une telle ampleur que le réduire aux circonstances historiques est insuffisant : c'est un démon enfoui dans chaque homme, dans une région inaccessible à l'entendement, qui invalide les concepts de pardon ou de châtiment.

Dans ce texte puissant, les récits s'enchaînent, terribles : un père qui creuse un trou entre les lattes du wagon à bestiaux et y glisse ses deux fils pour qu'ils survivent ; une fille de 16 ans, cachée dans une cave par son concierge, qui la viole et lui fait un enfant qui ne verra la lumière du jour que trois ans plus tard ; ou encore ce vieux Juif qui collectionne les faits divers pour comprendre « les multiples formes du mal ». Parfois, il fallait rêver, imaginer, comme dans un tableau de Chagall, que l'on pourrait voler pour fuir l'Histoire. Filip David, né en 1940, parvient pudiquement à trouver les mots pour évoquer ce qui fut à jamais une « lettre écarlate » dans la chair des survivants. — Gilles Heuré

 

Kuca secanja i zaborava, traduit du serbe par Alain Cappon, postface de Marc-Alain Ouaknin, éd. Viviane Hamy, 196 p., 18 €.


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La Maison des souvenirs et de l'oubli


2017-05-24 00:00:00

Vernon Subutex 3

On ignorait, faisant en janvier 2015 la connaissance de Vernon Subutex, inaltérable enfant du rock devenu SDF à la dérive dans le Paris d'aujourd'hui, vers quel horizon cette rencontre nous conduirait. Virginie Despentes elle-même le savait-elle ? Sans doute en avait-elle l'intuition — une sorte de pressentiment anxieux auquel la réalité la plus brutale est venue, dès ce mois de janvier 2015 et au cours des deux ans et demi qui se sont écoulés depuis, donner un contour, une forme. Transformant ce qui n'était encore qu'une présomption inquiète en un état des lieux tragiquement objectif. L'ultime volet de la saisissante trilogie romanesque de Virginie Despentes est le plus noir. Une véritable chronique en temps réel d'un présent qui semble s'y être imposé — presque à l'excès, mais comment pouvait-il en être autrement ? Et qui d'autre que Despentes, portée par sa capacité d'indignation intacte, son énergie folle, son sens du combat et cette empathie tout sauf complaisante qui est son arme maîtresse, pour plonger ainsi les mains dans ce matériau à vif, instable, infect, et l'intégrer à l'ultramoderne comédie humaine qu'est Vernon Subutex ?

On avait laissé, au terme du deuxième tome, l'ancien disquaire et SDF devenu malgré lui une sorte de gourou, drôle de leader charismatique d'une faction subversive prônant une calme et ferme dissidence contre une société d'une invivable violence. Quand s'ouvre ce troisième volume, la petite bande est partie se mettre au vert. Il y a, autour de Vernon, La Hyène, Pamela, Kiko et quelques autres, constituant le noyau dur d'une commu­nauté moins utopique que, plus simplement, amicale. De temps à autre, ils organisent des rassemblements ouverts aux « gens de l'extérieur ». Des cérémonies nocturnes, mi-raves, mi-cultes, qu'ils appellent « convergences », et dont ­Vernon est tout ensemble le DJ et le chamane : « Il s'agit de danser jusqu'à l'aube, c'est tout. La chose extraordinaire, c'est ce que les danseurs ressentent — sans drogue, sans préparation, sans trucage [...]. Une confusion douce, lumineuse, qui donne envie de prendre son temps et de garder le silence. Les épidermes perdent leurs frontières, chacun devient le corps des autres, c'est une ­intimité étendue. » La belle symbiose ne durera pas : Vernon et les siens ­seront bientôt rattrapés par l'ennemi ­féroce qui les traque depuis l'origine de la ­saga — n'oublions pas que Vernon Subutex est, à l'origine et jusqu'à son terme, un polar —, aussi par les éternelles jalousies et rancoeurs qui minent les rapports humains. Rattrapés, plus ­gravement encore, par ce monde dont ils aspirent à se tenir en marge mais qui les assigne bientôt à comparaître et à participer.

Une nouvelle fois, c'est un choeur discordant, incarné, véhément, qu'orchestre magistralement la romancière. Et le tableau qu'avec ces voix elle peint est le portrait, désespérant et plus vrai que nature, d'une société creusée d'abîmes toujours plus profonds — entre les classes sociales, les appartenances culturelles ou religieuses. Une société littéralement disloquée, pulvérisée par les haines, dans laquelle, diagnostique un des personnages, « personne ne peut saquer personne. On n'a pas envie de vivre ensemble. Ce n'est pas vrai que les cultures se mélangent. [...] Ce que tout le monde cherche, au final, c'est l'entre-soi. N'avoir à se coltiner que des gens qui te ressemblent. Pas d'étrangers. Et le ciment le plus facile à trouver pour souder un groupe restera toujours l'ennemi commun ». Le faible, le marginal, l'impur. L'autre. Le constat est d'une âpreté inouïe, dans laquelle pourtant ne se dissout pas l'humanisme tenace et rageur qu'on sent pulser dans chaque page, chaque phrase de Despentes — et qui évoque cette qualité qu'Henry James enviait aux romans de Balzac : une incroyable et palpitante « quantité de vie ». — Nathalie Crom

 

Ed. Grasset, 400 p., 19,90 €.


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Vernon Subutex 3


2017-05-24 00:00:00