Biographie de Ernest Legouvé
Ernest Legouvé

Décédé le : 14/03/1903
Poète, moraliste, critique et auteur dramatique français (1807-1903). (Acad.fr. 1855).
Gabriel Jean Baptiste Ernest Wilfred Legouvé est un écrivain français, dramaturge, poète, moraliste, défenseur des droits des femmes et critique, né le 14 février 1807 à Paris où il est mort le 14 mars 1903 (à 96 ans).
Fils du poète Gabriel-Marie Legouvé (1764-1812), Ernest Legouvé (Gabriel-Jean-Baptiste-Ernest-Wilfrid Legouvé pour l'état civil) perd sa mère à l'âge de trois ans ; peu après, son père est interné à la « Folie Sandrin » (rue Norvins), la clinique du docteur Blanche, et meurt deux ans plus tard. L'enfant hérite d'une fortune considérable et est éduqué avec soin par son tuteur Jean-Nicolas Bouilly (1763-1842), qui lui donne l'amour des belles-lettres.
Dès 1829, son poème La Découverte de l'imprimerie est couronné par l'Académie française. En 1832, il publie un curieux recueil de vers intitulé Les Morts bizarres, puis plusieurs romans qui obtiennent un vif succès.
Dans l'Histoire morale des femmes, Ernest Legouvé formule un concept correspondant à l'adage « Derrière chaque grand homme se cache une femme » : « Passez en revue, par la pensée, les hommes éminents qui vous sont connus, et plus d'une fois, en pénétrant dans le secret de leur vie, vous y découvrirez une femme qui a sa part dans leur conduite. »
Legouvé est aussi l'auteur de pièces de théâtre. En collaboration avec Eugène Scribe, ses deux meilleurs ouvrages sont Adrienne Lecouvreur, qui triomphe à la Comédie-Française en 1849, et Bataille de dames. En 1854, le succès de sa tragédie Médée, qui le rattache à la réaction néo-classique face aux excès du romantisme à laquelle est attaché le nom de François Ponsard, est pour beaucoup dans son élection à l'Académie française, en 1855, au fauteuil de Jacques-François Ancelot (fauteuil no 30). Il est aussi librettiste, par exemple pour l'opéra-comique L'Amour africain d'Émile Paladilhe.
Sa célébrité lui vient surtout de ses conférences sur les droits des femmes et l'éducation progressiste des enfants : il préconise notamment l'éducation physique. En 1847, il donne au Collège de France un cours sur « l'histoire morale des femmes » qui a un succès considérable et est publié en 1848. Dans ces domaines, il fait figure de précurseur avec des ouvrages comme La Femme en France au XIXe siècle (1864, nouvelle édition augmentée en 1878), Messieurs les enfants (1868), Conférences parisiennes (1872), Une éducation de jeune fille (1884).
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Par Nadar (Gaspard-Félix Tournachon) — Harvard Art Museum/Fogg Museum, Domaine public, Lien
A mon père poème d'Ernest Legouvé
A mon père de Gabriel Jean Baptiste Ernest Wilfred Legouvé
Ernest Legouvé est un écrivain français, dramaturge, poète, moraliste, défenseur des droits des femmes et critique. Il est le fils de Gabriel-Marie Legouvé auteur de Le Mérite des Femmes. Ce poème lui est dédié.
Aout 1832
Je n'avais pas cinq ans lorsque je le perdis:
On m'habilla de noir... La mère de ma mère
Me couvrit, en pleurant, de ces sombres habits;
Et, sans l'interroger, moi, je la laissai faire,
Tout heureux d'étaler de nouveaux vêtements;
Et mon corps seul porta le deuil sacré d'un père...
Je n'avais pas cinq ans.
Mais parfois, au milieu des plaisirs de mon âge,
Je demandais : Où donc est mon père? en quel lieu?
Et l'on me répondait : Votre père?... il voyage;
Ou bien encor : Ton père est avec le bon Dieu;
Et, satisfait alors, sans vouloir davantage,
Je retournais au jeu.
Cependant, une nuit, dans un rêve prospère,
Un homme jeune, avec un sourire d'ami,
Se pencha tendrement sur mon front endormi,
lit lu grand rideau jaune, et le lit de ma mère,
Où je montais chaque matin.
Je me rappelle bien qu'après notre prière
Ma mère me disait : Vas embrasser ton père;
Que j'y courais, tout faible encor;
Qu'alors il me pressait vingt fois sur sa poitrine.
Puis m'ouvrait, en riant de ma joie enfantine.
Un livre qui me semblait d'or.
Je me rappelle aussi sa voix grave et sonore...
Mais son front, mais ses yeux, mais ses traits que j'implore,
Mais lui!... lui, mon rêve éternel...
Rien... toujours rien!...
Le ciel m'a ravi son image;
Ah! n'était-ce donc pas aussi mon héritage
Que le souvenir paternel?
C'est peu d'un tel regret... Ceux que je vois, que j'aime,
Parlent toujours de lui; l'indifférent lui-même
S'attendrit en le dépeignant:
Dans leurs cœurs trop heureux son souvenir abonde;
Tout le monde l'a vu, le connaît... tout le monde,
Hélas! excepté son enfant
Aussi de quelle ardeur j'interroge et j'appelle
Les témoins de sa vie... ou même de sa mort!
Comme j'écoute, accueille, embrasse avec transport
Un mot qui me le peint, un trait qui le révèle,
Et comme avec délice, en mon âme fidèle
J'enfouis mon trèsor !
C'est surtout dans les cœurs, sur les bouches de femme
Que j'aime à retrouver son nom!
Leur âme comprend mieux mes regrets et son âme,
Et leur reconnaissance est son plus beau renom.
Aussi, quand j'aperçois, en racontant sa vie,
Une d'elles donner un signe de douleur,
Il me prend dans le cœur une secrète envie
De lui tendre la main, en lui disant : Ma sœur!
C'est ainsi que toujours je vais, avec courage,
Quêtant un souvenir ou brûlant ou glacé,
Pour me nourrir le cœur, me refaire un passé
Et recomposer son image.
Et puis, lorsque mon âme est pleine jusqu'au bord,
Que je la sens gonflée et riche de ces quêtes,
Qui me semblent, à moi, comme autant de conquêtes
Que je fais sur la mort,
Je vole au monument qui me garde ces restes!...
L'œil morne, le front nu, j'arrive aux lieux funestes,
J'ouvre la grille noire, et sur le banc grossier,
A droite de la tombe, en face du rosier,
Triste, je m'assieds en silence,
Et là je rêve, écris, pleure, médite et pense.
On m'a dit quelquefois que je lui ressemblais..
Eh bien! par la pensée anticipant sur l'âge,
Je blanchis mes cheveux, je ride mon visage,
Et du temps, sur mon front, j'accélère l'outrage
Pour lui ressembler mieux et me rendre ses traits,
El puis, pour réveiller sous ce froid mausolée
Son ombre un instant consolée,
L'esprit plein de ses vers touchants,
Je me prends à redire, à côté de sa cendre,
Les douloureux accords où son cœur triste et tendre
Se répandit en plus doux chants.
Mais bientôt le soir vient et m'arrache à mon rêve
Mon fantôme si doux s'envole... je me lève,
Je pars comme on part pour l'exil;
Puis, après quelques pas, un moment je m'arrête,
Regarde encor sa tombe, et lui dis de la tête:
Adieu, père... Hélas! m'entend-il?